Synesthésie 3 : Je n'oublierai jamais le moment où j'aurai vraiment vu la vie pour la première fois...
Sur les vitres de la salle de classe, la buée s'est installée. Il fait plus froid à l'extérieur qu'à l'intérieur. Les vaches deviennent des taches de couleur indistinctes. L'eau est un des éléments les plus complexes. C'est un cristal trimorphique : liquide, glace et vapeur. Le trois, 3. Père, mère, enfant ; passé, présent, futur ; conscient, subconscient, inconscient ; corps, âme, esprit. Tout ce qui est beau est 3. Nous sommes trois. L'eau est trois. L'eau est d'une grande beauté mystérieuse. Depuis mon bureau, l'oreille collée au bois, caché par un cahier, je regarde le grand mystère aquatique faire coucou à la fenêtre : l'eau se manifeste où se trouve la joie de la beauté - la vie -. L'eau est là, jusque dans nos corps. Nous sommes beauté. Assis sur ma chaise, sans bouger, je m'émerveille de l'exraordinaire miracle de beauté du monde. De l'eau coule de mes yeux.
Je me souviens de la première fois où j'ai vu un flocon de neige toucher le bout de mes doigts. C'était à la montagne, et la neige venait recouvrir le monde. J'en ai cueilli dans ma main, et je me suis extasié du reflet du soleil que chaque particule reflétait.
De A à Z -de l'alpha à l'oméga- il n'existe aucun endroit où la beauté ne soit pas présente. Nous vivons dans, par, et pour (3) la beauté. La neige m'a appris cela. Elle me l'a rappelé quand j'ai vu la photo d'un flocon de neige au microscope.
Une fleur.
La glace est une fleur.
La glace sur une vitre se forme comme une fleur.
La classe se termine. les élèves se lèvent. Je les suis dans le mouvement. je vois deux amis partir ensemble. ils rient et se chamaillent, bras dessus, bras dessous. leur rire résonne fort, loin, puissamment.
Ils sortent pour la récréation. Ils courent parmi les herbes et les fleurs des champs. Le soleil joue dans leurs cheveux. la vie est une longue course à travers champ.
Je me souviens de ma première dépouille. Elle gisait sur la table métalique d'une morgue. C'était la dépouille de mon grand-père. Elle était habillée de ses vêtements pour les grandes occasions. Les traits de son visage étaient sereins, mais vides. En voyant sa dépouille, je n'y ai vu qu'une carapace creuse, inutile, sans vie. Le vide en était tellement intense que je n'ai pas reconnu mon grand-père.
C'était pourtant bien son corps. Mais ce n'était pas lui. Lui était parti.
J'ai fait mes adieux à sa dépouille, mais pas à mon grand-père. Lui, il est toujours vivant.
En partant, j'ai regardé mes proches comme jamais je ne les avais regardés. À quel point ils étaient beaux ! Leurs visages étaient d'une telle intensité ! Quelle richesse dans la moindre de leurs expressions ! Quelle profondeur de sens dans le moindre de leurs regards, dans le plus infime mouvement musculaire conscient comme inconscient. À dire vrai, ils n'avaient même pas besoin de faire quelque chose. C'était comme si une vibrante aura invisible et dorée filtrait à travers leur peau, habitait leur corps. Le souffle de Vie était dans bien dans leurs narines.
Et je vis la vie que je vis.
Tout comme un banc de nuages morcelés surligne l'horizon à l'heure du crépuscule, avec sur cette ligne lointaine quelques reflets de lumière rosée, elle se dévoila à mes yeux : la majesté des cieux au crépuscule.
Quand le ciel n'est-il pas magnifique ?
Je lève les yeux, et je vois l'azur du ciel sans nuage. le soleil s'est levé d'au-dessus des montagnes depuis deux heures. La buée sur les vitres ont dû s'en aller en vapeur d'eau.
Le soleil chauffe ma peau, comme pour m'encourager à l'apprécier. Au-dessus des montagnes pointe une virgule nuageuse, tout de blanc doré. Elle est seule, suspendue dans le ciel. Elle donne tout son charme au tableau.
Nuage, ciel, soleil (3). Ceci est la beauté.
Une petite brise souffle sur mon visage.
Mes amis courent vers moi. L'aura de vie déborde d'eux comme des torrents de montagne. Je me sens saumon qui met toute sa joie à en remonter le cours. De moi aussi coulent les mêmes flots de vie, par toutes les pores de ma peau, par toute l'existence de mon âme, par toutes les pensées de mon esprit.
Ils courent vers moi. Je scrute leurs visages. Leurs yeux joyeux et excités sont des phares éblouissants par où se dévoilent la lumière de la vie. Ils sont bien la lumière du monde, ce qui veut dire par pure logique que je le suis aussi. Quelle magnifique perfection ! Quelle merveilleuse et magnifique nouvelle ! L'eau coule sur mes joues.
Le bonheur et l'eau sont bien liés étroitement.
Mes amis voient la trace lumineuse de mon bonheur sur mes joues. Ils sont perplexes. Ils ont du mal à croire qu'ils sont la cause de tout ce bonheur.
"On n'a rien fait !"
"Je sais, je sais..."
C'est encore plus fantastiquement merveilleux comme ça !
Je sens mon coeur s'enfler dans ma poitrine. La conscience de la Beauté m'envahit de toute part. J'ai la sensation que je vais exploser de joie comme un ballon de baudruche. Mon âme s'élargit pour accueillir cet nouvelle dimension de l'Amour qu'elle découvre. De l'extérieur, je resplendis de santé comme un petit soleil. Mes camarades de jeu le voient. Ils en resplendissent d'autant plus. Nous resplendissons.
Au loin, la virgule dorée dans le ciel est devenue un point.
Fin
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