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Littérature fantasy


[Commentaire] Le Royaume de Pierre d'Angle (autrice : Pascale Quiviger)

Il est rare de tomber sur des livres qui transpirent une douce atmosphère de plénitude et de simple poésie. C'est pourtant le cas de cette série, encore inachevée à l'heure où j'écris ces lignes.

 

 

Le Royaume de Pierre d'Angle nous raconte l'histoire d'un minuscule royaume insulaire de l'hémisphère nord, royaume proche de l'utopie de par sa société socialiste tout en étant monarchiste et traditionaliste.

Tout commence avec le prince Thibault de Pierre d'Angle, parti en exploration maritime, avec son fidèle équipage. Ces derniers accostent sur une île des mers du sud et repartent avec une passagère clandestine, Ema. Le destin est en marche, car leur retour à Pierre d'Angle va mettre en route une série d'événements singuliers...

 

Le résumé de l'histoire est certes fort concis. Vous n'aurez qu'une très vague idée de ce dont le premier roman va parler. Et surtout, vous êtes privés de l'atmosphère du roman, si particulière et si difficile à expliquer. C'est pourtant ce que je vais essayer de vous expliquer.

 

Le style d'écriture de l'autrice est un bon départ pour expliquer l'origine de la poésie de cette histoire. Je puis dire que Pascale Quiviger a une écriture assez directe, franche. Pas de fanfreluches ou d'éléments surajoutés pour embellir l'histoire via le verbe. Non, juste une description simple des rapports humains, des événements, des manifestations de la nature, des phénomènes moins naturels, des pensées. Parfois, le narrateur devient omniscient et nous prédit des morceaux d'événements futurs, ce qui correspond bien à la nature "fantasy" du roman.

On sent toute l'importance qu'accorde l'autrice aux événements, ce qui se passe dans son roman. Toute scène est écrite avec une attention, un soin, un amour de la narration que le lecteur peut ressentir.

 

Et puis, il y a les thèmes importants de l'histoire aux yeux de l'autrice. La nature et son harmonie intime (la mer, les plaines, les grottes, les montagnes, les forêts). Les traditions d'un pays et les coûtumes de son peuple (la fondation du royaume, les traditions monarchiques, les rites et coutumes du pays, la géographie du pays).

Et c'est peut-être ce thème qui pour moi a le plus de valeur dans cette série. En effet, j'ai toujours trouvé les coutûmes et les traditions d'un pays importantes, et non pas simplement d'un point de vue patrimonial (chose que je trouve très triviale). Non, tout cela est un symbole pour le peuple qui les pratique. Il s'agit d'une part de son âme, de son identité. Les traditions, les rites et les coutûmes véhiculent un sens, une signification. Elles ont un sens magique, car elles lient un peuple dans une communion de destinée.

Oui, un pays a une âme, un pays a une destinée, tant que ses traditions et ses coutûmes sont encore observées, tant que son histoire est honorée. C'est ce qui fait en partie la force des pays traditionnels comme la Russie. Un peuple qui entretient sa mémoire est un peuple qui reste ferme face aux tentations extrêmes du futur, comme l'oubli, la fuite en avant, le positivisme illogique, la dégénérescence physique, morale et psychologique.

 

Il est de mon avis que l'autrice a perçu la dimension magique et symbolique des rites, traditions et coutûmes. Je trouve même dans l'identité culturelle, cultuelle et traditionnelle de son royaume de Pierre d'Angle une certaine forme fantasmée de la France. Les noms des personnages sont tous purement français et comportent des noms de lieu français (ex : les Corbières), ce qui est très rafraichissant pour le genre très saxon de la fantasy. L'État monarchique est ouvertement socialiste (éducation gratuite pour tous) par tradition. Il est même fait une référence aux réformes du gouvernement français ces dernières années avec un passage où une conseillère du souverain émet l'idée, fortement réprouvée, de rendre l'éducation payante pour certains, et moins pour d'autres.

 

Enfin, que serait cette série sans l'ajout discret mais non moins prégnant d'éléments mystiques ?

Tout d'abord, l'Amour existe. Les "couples parfaits" existent. Derrière l'inévitable apparence fleur bleue se cache le divin. Les "couples parfaits" sont désignés à leur naissance par une fleur blanche sur leurs fronts. Le destin les fait se rencontrer, et les fait rester ensemble. Mieux encore, le précédent couple parfait rencontre le couple à venir avant de mourir, leur passant le flambeau. Il est dit dans l'histoire que c'est le moyen qu'a trouvé l'Amour pour rappeler aux hommes et aux femmes sa présence, son existence. Cet élément est certes superficiel, mais je l'aime bien dans la façon qu'a l'autrice de l'utiliser dans son histoire et, surtout, de le décrire.

Ensuite, les guerriers spirituels existent. Des personnages ayant une grande lucidité sur la vie et sur ces processus parsèment l'histoire. Ils s'intérèssent à tout ce qui compose l'univers, font preuve de compassion envers les autres, les soignent, leur enseignent, ont recours a des outils spirituels pour s'orienter dans leur vie. Ils acceptent les épreuves de l'existence, et même, meurent dans la paix de l'esprit.

 

https://www.youtube.com/watch?v=rs5bc_P1kKo

 

Voila donc les quelques éléments qui sont à l'origine, selon moi, de l'atmosphère subtile de la série, et me la font apprécier tout particulièrement. J'ai conscience que cet article est un peu brouillon, et que mes explications sont parfois morcelaires et incomplètes. J'aimerais que vous preniez ça comme une preuve de la remarquable difficulté à expliquer la Beauté de cette série, celle-ci dûe à sa très grande subtilité.

 

Personnellement, j'aimerais terminer en disant que je range cette série dans la même catégorie que Les Éveilleurs de Pauline Alphen ou La Passe-miroir de Christelle Dabos. Tous des romans à la Beauté éclatante de subtilité dûe, en grande partie, à l'amour profond de l'écriture et de la narration.

Aux autrices de cette catégorie, je tire encore une fois bien bas mon chapeau.

 

 


14/02/2020
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[Analyse] Les Douze Royaumes (autrice : Fuyumi Ono) partie 1 : roi et kirin, gouvernants et gouvernés, quelle relation avoir ?

Je m'attaque enfin à une grande fresque, celle des Douze royaumes. Une série de romans japonais traduits en français et adaptée en animé que j'ai découverte assez récemment (3 ans en arrière), mais qui m'a grandement touché et inspiré. Cette série de fantasy japonaise a été commencée en 1991 par Ono Fuyumi (je rappelle que je respecte l'ordre traditionnel japonais du nom puis du prénom dans ces articles). L'autrice est plutôt connue pour ses romans d'horreur comme Shiki, série non traduite en français mais ayant été adaptée en animé, dans laquelle des vampires envahissent progressivement un petit village reculé de la campagne japonaise. Cependant, ce n'est pas le thème de la série des Douze royaumes. Ou plus précisément, la série quitte le genre de l'horreur dès la fin du tome pilote pour devenir très clairement de la fantasy, mais nous y reviendrons.

Alors de quoi parle Les Douze royaumes ? Et bien de douze royaumes... Bon, en fait c'est un peu plus compliqué que ça. Tout commence lorsqu'une jeune lycéenne nommée Nakajima Yôko rencontre un étranger aux longs cheveux blonds se prénommant Keiki, et qui lui annonce être venu la chercher. Sur ce, il s’agenouille à ses pieds et lui prête serment, serment qu’il la force à accepter. Complètement médusée, Yôko se retrouve alors prise dans une cascade d’événements qui vont la propulser dans un autre monde parallèle à celui du Japon, celui des douze royaumes. Quel est ce monde ? Que fait-elle là-bas ? Qui est Keiki ? Les deux premières parties du tome 1 viennent répondre à ces questions.

Voilà comment je peux résumer très simplement et sans spoiler le début de l’histoire des Douze royaumes. Par la suite, je vais nécessairement en dire plus, c’est pourquoi j’invite ceux que l’histoire intéresse d’arrêter ici la lecture de cet article, et de d’abord lire les livres et/ou de voir la série animée.

Les Douze royaumes est une série regorgeant de thèmes, de détails et de personnages intéressants, si bien que je n’ai pas envie de tout traiter en un seul article. Pour cette raison, j’ai décidé de scinder en plusieurs parties les différents sujets dont j’ai ou aurai envie de parler concernant Les Douze royaumes.

Ainsi, dans cette première partie, je vais commencer par parler de l’univers fictif créé par Ono Fuyumi.

 

La série des Douze royaumes est bâtie sur l’existence d’un univers parallèle au notre. Un univers dont les continents et les îles sont organisés géométriquement en forme de mandala, dans lequel n’existent que douze royaumes entouré d’un océan sans limite. Au centre de ce monde se trouve une terre circulaire nommée « la mer jaune » en raison du fait qu’il s’agit d’un désert, et au centre duquel se dressent cinq pics montagneux. Autour de cette mer jaune s’étendent la mer rouge, bleue, noire et blanche en forme de fleur à quatre pétales. Le tout est enserré par un grand continent en forme de carré sur lequel se trouvent huit des douze royaumes. Ces royaumes sont tous de la même taille et de la même forme et ont une position géographique très précise. Il y a le royaume du nord, Ryû (le saule), le royaume du sud, Sô (la musique, la parole adressée à l’empereur), le royaume de l’ouest, Han (le modèle, l’exemple), le royaume de l’est, Kei (la jubilation, la réjouissance), le royaume du nord-est, En (l’oie sauvage), le royaume du sud-est, Kô (le mérite, le succès), le royaume du sud-ouest Sai (le talent, le don, la capacité), et le royaume du nord-ouest, Kyô (le respect, révérencieux). Ce continent est lui-même encerclé par un océan gigantesque et sans fin nommé « la mer du vide ». Ne s’y trouvent que quatre grandes îles triangulaires formant un plus grand carré entourant celui formé par le continent. Ces quatre îles sont les quatre derniers royaumes. On les nomme les royaumes des confins. On trouve tout d’abord au nord-est le royaume de Tai (être couronné), au sud-est le royaume de Shun (l’ipomée tricolore), au sud-ouest le royaume de Ren (l’ondulation sur l’eau), et au nord-ouest le royaume de Hô (le parfum, le baume).

Cette harmonie géométrique de la géographie du monde des douze royaumes reflète bien comment Ono Fuyumi conçoit son univers fictif. Cet univers est ordonné, structuré selon une loi précise, inviolable. J’y sens pour ma part une certaine mise en opposition de cet univers par rapport au nôtre où le chaos semble régner. En effet, l’autrice prend grand soin de donner une origine à son univers. On y découvre ainsi comment Tentei ?? (l’empereur du Ciel) a formé les douze royaumes et leur a donné à chacun un roi ou une reine chargé d’assurer la sécurité, l’harmonie et la prospérité de son royaume. Le roi ou la reine est désigné par un animal sacré nommé le kirin ??, seul être à pouvoir recevoir la volonté du Ciel. Chaque royaume a ainsi un kirin qui naît sur le mont Hô dans la mer jaune, et qui désigne son roi ou sa reine dès qu’il est en âge de maîtriser ses pouvoirs. Le roi ou la reine choisi par le Kirin devient un dieu immortel, dont la présence sur le trône chasse les monstres et les démons de son territoire. Tant que le kirin est en vie, le roi ou la reine ne pourra mourir de vieillesse. En revanche si le roi ou la reine cesse de gouverner de façon juste son royaume, et enfreint la loi du Ciel, ou s’engage trop loin dans une conduite déséquilibrée (luxure, paresse, etc.), alors le kirin est frappé de la maladie du Shitsudô ?? (perte de la voie). Si son souverain ne se corrige pas (ce qui arrive la plupart du temps), alors le kirin meurt, ce qui entraîne le décès du roi ou de la reine peu de temps après. Ainsi, tout souverain choisi par le Ciel peut perdre sa légitimité s’il s’égare. La perte du roi à la tête du pays entraîne automatiquement l’apparition de démons dans le pays, et ce jusqu’à ce que le prochain kirin choisisse son nouveau maître.

 

Un monde, donc, extrêmement ordonné où les dieux vivent. Une Loi inviolable existe et est connue de tous. Le monde fonctionne selon une mécanique précise. Tout ceci rappelle, pour ce que j’en sais, la mythologie chinoise et le taoïsme. L’autrice ne cache d’ailleurs pas le fait que cet univers a des consonances chinoises. Ainsi, la langue parlée dans les douze royaumes rappelle le chinois, et l’écriture est celle des idéogrammes sino-japonais avec quelques modifications.

Mais au-delà de cette influence très clairement chinoise, je pense que cet ordre social et divin peut parler à tout le monde. Tout simplement parce que, comme je l’ai dit plus haut, l’harmonie des douze royaumes est un reflet inverse de l’apparence de notre monde où tout semble être chaotique. Or, tout le monde a quelque part en soi à des niveaux très divers le désir d’harmonie consacrée par un ordre invisible et immuable. C’est ce qui contribue, je trouve, à faire de la série des Douze royaumes une histoire très reposante et douce où nous est présentée l’esquisse d’un monde idéal. Ou pas, mais nous y reviendrons dans une autre partie.

 

Cet ordre harmonieux et inviolable est particulièrement souligné dans les romans par les deux rôles complémentaires du roi et du kirin. Aussi, c’est sur ces deux fonctions que je vais m’arrêter dans cette première partie.

Dans l’organisation de chacun des royaumes, le roi et son kirin en sont le sommet. Le roi est le maître du kirin, ce qui instaure une hiérarchie claire régissant les liens entre les deux individus. Quand un roi donne un ordre, le kirin est par nature obligé d’obéir. Pour autant, comme on l’a vu plus haut, si le kirin meurt, le roi meurt aussi. Ce fait empêche la relation entre un roi et son kirin d’être simplement celle d’un supérieur envers son vassal. Le roi dépend en effet à un certain niveau de son kirin. C’est de lui qu’il tire sa longévité ainsi que sa légitimité. Car Ono Fuyumi nous explique très clairement ce qu’est un kirin. Il ne s’agit pas simplement d’un animal sacré capable de prendre forme humaine et qui désigne son maître et le sert par la suite. Le kirin est l’incarnation de la volonté du Ciel. En tant que tel, le kirin prêche sans cesse auprès de son roi ou de sa reine la miséricorde et la compassion dans chacun de ses choix, y compris dans le cas d’un criminel. Le kirin devient ainsi malade à la vue du sang, et ne supporte pas la guerre et la violence. Le kirin est ainsi aussi présenté comme une figure de la volonté du peuple de son pays. Car quel peuple désire la guerre s’il n’y est pas poussé ?

Ainsi, si le roi dirige son pays, le kirin incarnant à la fois la volonté du Ciel et du peuple (voix du peuple, voix de Dieu ?) est là pour le conseiller et faire office de contre-poids à la volonté personnelle du souverain. Ce contre-poids est relatif, car il est fréquent les situations dans lesquelles le roi n’écoute pas son kirin, soit par nécessité d’affaire d’État, soit par pur égoïsme. (En effet, dans les cas où le roi doit juger par exemple un traître qui a essayé de tenter un coup-d’état, un bon souverain ne peut pas se permettre d’écouter son kirin et de faire preuve de clémence.)

C’est pourquoi le souverain et son kirin sont vus comme les deux moitiés d’une même pièce. L’un est indispensable à l’autre. Sans roi, le kirin qui incarne le peuple cherchera naturellement un maître auquel se référer, car il manquera de fermeté. Sans kirin, le roi n’a plus de garde-fou et ne peut que basculer dans un règne tyrannique et égoïste.

Le roi et le kirin sont donc une image d’une façon juste de gouverner. Il s’agit de l’image de la relation entre les gouvernants et les gouvernés. L’un n’allant pas sans l’autre. Les Douze royaumes, au-delà de l’univers structurellement organisé nous incite donc à réfléchir sur notre rapport au pouvoir et à l’univers. Cette série peut être vue comme une fable politique. Quand le royaume est bien gouverné, tout est parfait. Dès qu’il ne l’est plus, alors tout devient chaotique.


Et c’est là que la fiction rejoint la réalité. Car certes j’ai dit que notre monde et celui des douze royaumes étaient en opposition sur le point de vue du chaos et de l’harmonie, voire du sens et du non-sens. Mais finalement, notre monde si chaotique ne provient-il pas d’une mauvaise façon de gouverner (et de se gouverner) ; d’une mauvaise relation entre gouvernés et gouvernants ?

Je ne suis pas de ceux pour ma part qui tentent de rejeter la faute du chaos sur les seuls gouvernants. Je ne crois pas par exemple que la situation mondiale au niveau social soit la seule responsabilité des dirigeants. Certes, ils ont une large part de décision dans ce qu’il se passe sur le globe. Mais n’est-ce pas aussi parce que nous, les gouvernés, les laissons faire ?

Si le kirin se tait et cesse de conseiller le souverain, comment le souverain est-il supposé bien se comporter ? Comment peut-il savoir que le chemin qu’il prend est mauvais ? Il ne le peut pas par lui-même, car c’est la responsabilité du kirin que de le prévenir dans ses égarements.

Ainsi de même, comment nos dirigeants sont-ils supposés bien se comporter, si le peuple qu’il dirige est lui aussi un voyou ? On parle souvent de l’État qui doit éduquer son peuple grâce à l’École publique. Mais quel genre de dirigeants peut-on espérer si le peuple n’éduque pas ses dirigeants ?

Tout comme le roi et le kirin sont les deux facettes d’une seule et même pièce, les gouvernants et les gouvernés sont une seule et même entité.

Nous sommes tous responsables de l’état de notre pays. Prendre soin de son pays, ce n’est pas forcément aller voter, avoir des opinions, ou aller dans des manifestations.

 

Prendre soin de son pays, c’est donner la préséance au bien commun à tous les niveaux. Et à commencer par le niveau strictement individuel.

Moi, en tant qu’individu, que puis-je apporter à la communauté ?

Je vais m’arrêter sur cette question pour le moment, et j’y reviendrai dans la prochaine partie de cet article sur Les Douze royaumes qui traitera des personnages, car je crois que de cette manière, je pourrai montrer que cette série répond parfaitement à cette question d’une façon particulière.

 


31/03/2019
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[Réflexion] Le Trône de fer (auteur : Georges R.R. Martin) : L'endiguement progressif de la violence mondiale grâce à des sacrifices pour la paix

Remarque préalable : Cet article est le fruit d'une réflexion nourrie en grande partie par la foi chrétienne.

 

Certains me diront sans doute que je fais trop dans le mainstream, mais il m'est venu l'idée d'écrire ce nouvel article en me basant sur Le Trône de fer de Georges R.R. Martin.

Une série romanesque adaptée en série TV qui connaît aujourd'hui une popularité monstre auprès du public. En avril commencera la dernière saison qui cloturera l'épopée. On peut dire que je choisis bien mon moment. Mais commençons par résumer rapidement de quoi parle cette histoire pour ceux qui ne connaissent pas.

Le Trône de fer raconte l'épopée d'un continent unifié sous la forme d'un royaume sur une période de plusieurs années. Une véritable guerre de succession démarre rapidement, chaque prétendant accusant les autres d'être un usurpateur et tentant de se saisir du pouvoir par la force des armes. Trahison, tromperie, mensonge sont monnaie courante à la cour, et les personnages narrateurs importants sont susceptibles de mourir à tout moment. La violence dans son expression la plus primaire est donc de mise. L'homme est un loup pour l'homme. Certains tentent bien de se comporter dignement, voire avec noblesse, mais la majorité perverse, envieuse, et avide de pouvoir ne leur facilite pas la tâche.

 

Il est facile de voir en lisant cette série que Georges Martin a fait de sa série une réflexion sur le pouvoir, et l'attrait que celui-ci exerce sur les hommes. Son point de vue est plutôt sombre. L'homme apparaît comme un animal doué de raison, ce qui le rend encore plus dangereux. Il ne recule devant rien pour assoir sa domination sur les autres. Et si l'auteur met l'emphase sur le pouvoir politique, le pouvoir religieux ainsi que le pouvoir financier et le pouvoir scholastique n'échappent pas non plus à son écriture.

L'argent est un outil de pouvoir. Le savoir est un outil de pouvoir. Les religions sont des outils de pouvoir. Et le peuple n'est bon qu'à faire les frais de ceux qui s'en servent pour leur bénéfice personnel.

Heureusement, certains personnages s'élèvent au-dessus de ces attitudes bestiales. Quelques personnages se comportent avec honneur et intelligence de l'esprit et du coeur. Certains ont de la compassion pour autrui. Et ce qui est intéressant à noter, c'est que tous ses personnages "bienveillants" ont tous été des victimes de quelque chose : leur physique disgracieux (Tyrion Lannister), leur naissance bâtarde (Jon Snow), des membres de la famille persécuteurs (Daenerys Targaryen), un membre de la famille tué de façon horrible (Ned Stark), etc.

Cependant, ils n'échappent pas à leur condition ou à leur sort. Ned Stark est tué. Tyrion Lannister se venge de sa famille. Daenerys Targaryen met à feu et à sang des villes entières. Tous sont des êtres humains. Tous sont faillibles.

 

Une série qui rescussite une atmosphère du Moyen Âge où les puissants se comportaient avec violence. Où les hommes étaient durs et se battaient régulièrement. Une époque où les troubles et les guerres étaient considérées comme inévitables, normales.

Et c'est en partie à cause de ce rappel du passé très bien réussi que la série a pu connaître une si complète popularité. Du moins, c'est ce que je crois. Et c'est sur ce phénomène que j'aimerais m'attarder : la fascination pour ce passé si ouvertement violent.

 

Si l'on compare avec le passé, il est indéniable que la société mondiale est devenue plus douce dans sa façon de penser. Je ne veux pas dire par là que la violence a cessé. Au contraire, elle n'a jamais disparu. Il y a toujours autant de guerres sur la planète. Et les moyens de les mener sont devenues effroyables. Cet adoucissement est donc très contestable dans la pratique. Cependant, j'estime qu'elle est néanmoins manifeste.

La torture par exemple n'est plus ouvertement admise. Comparé à seulement trois siècles plus tôt où les exécutions violentes étaient encore montrées au peuple, les temps présents semblent extrêmement paisibles. Les peuples de l'ancien temps n'hésitaient pas à utiliser le démembrement. On tuait de façon horrible, et de façon extrêmement inventive.

Encore une fois, bien entendu la torture est toujours pratiquée. Seulement, il est maintenant couramment admis que la torture et toute tuerie sanglante est mauvaise et réprouvée. Autrefois, c'était simplment normal.

Les effusions de sang étaient normales. Aujourd'hui, faire couler le sang est anormal.

Je pense que certains regrettent cette époque, non pas ouvertement, mais inconsciemment. La violence permise dans le passé permettait de se défouler plus facilement. Aujourd'hui, le défoulement est plus restrictif : on fait du sport, on emploit des drogues, on se bat comme des chifonniers, ou l'on pète des cables...

Le Trône de fer vient nous montrer la violence en nous que la société ne tolère plus ouvertement, et à juste titre. D'où une certaine fascination. Car si la violence est maintenant réprimée, elle n'est plus non plus assumée. On cherche désormais à se montrer sous un jour positif. On veut se montrer comme un défenseur de la paix, de l'environnement, de la justice et des droits de l'homme. Seulement, avec autant de violence contenue que l'on refuse de voir, comment se comporter pacifiquement ? Mais cela est une autre histoire.

 

Ce qui m'intéresse ici, c'est le processus historique que l'humanité à traversé à travers les époques où la violence a progressivement été restreinte, endiguée, embourbée. D'où cela vient-il ? Je ne crois pas pour ma part que l'homme, par sa volonté seule, a réussi le tour de force de mettre des restrictions progressives à sa colère et à sa haine de lui-même.

Je crois pour ma part que l'origine de cet endiguement progressif de la violence est à chercher dans le sacrifice d'une personne en particulier : la personne à l'origine de la figure messianique, Jésus-Christ.

Que l'on soit clair tout de suite. Bien que mes opinions sur la personne de Jésus orientent forcément mes réflexions, j'aimerais que chaque lecteur soit suffisamment ouvert d'esprit pour lire mon raisonnement jusqu'au bout sans me cataloguer dans la case du "religieux naïf et illogique". Je vous remercie.

 

Admettons en premier lieu que la vie de Jésus s'est déroulée telle que l'on nous l'a racontée. Son sacrifice est le point de déparrt de ce que j'appelle "l'endiguement progressif de la violence". Après sa crucifixion en effet, l'Église chrétienne a fait son apparition. Ses apôtres ont commencé à répandre son enseignement à travers le monde. Tout cela nous le savons tous. Les différentes églises chrétiennes de notre temps en sont le témoignage. Mais que contient son enseignement ? Un message de Paix et d'Amour de son prochain. Tu pardonneras à ton frère. Celui qui se met en colère contre son prochain devrait lui aussi passer en tribunal, etc. Si cela était suffisant pour endiguer la violence, alors cela ferait bien longtemps que l'humanité serait devenue pacifique. Après tout, le nombre de personnes qui ont enseigné la paix, ou qui ont défendu une idéologique pacifique avant comme après Jésus !

Mais il y a encore autre choses à cela. C'est le fait que ce message de Paix a été porté par des hommes et des femmes qui ont en masse accepté de donner leur vie pour lui, qu'ils soient chrétiens ou non. Il y a d'abord eu l'époque des martyrs de l'Empire romain. Ce fut l'époque où l'Église a considérablement payé de sa personne pour répandre le message. Sainte Blandine a versé son sang. Trois saints Valentin ont versé leur sang. Nombres d'évangélisateurs (les porteurs de la Bonne Nouvelle) en terre étrangère ont péri dans d'atroces souffrances. L'Évangile s'est répandu malgré la violence qui lui a été faite. Bien sûr, l'Église catholique romaine a à son tour persécuté des populations, imposé des dogmes par la force, et joué au jeu humain du pouvoir. Cela était-il le message de Paix du Christ ? Il faut dissocier institution humaine et message soit disant défendu par elle. Encore aujourd'hui, l'Église orthodoxe légitime commence à se faire persécuter par le gouvernement ukrainien, car elle refuse de se plier à quelque chose qu'on cherche à lui imposer. Et ne parlons même pas de la période communiste où de nombreux chrétiens orthodoxes ont été tués pour avoir conservé la Foi en l'enseignement du Christ. Et puis il y a eu aussi les tenants d'autres croyances, religieuses ou non. Il y a eu des musulmans. Il y a eu des bouddhistes. Il y a eu aussi des gens officiellement athés. À mes yeux, tout homme qui accepte le sacrifice de sa vie pour la Paix, l'Amour, le bien commun se rend semblable au Christ, qu'il soit chrétien ou non.

Tout ce sang versé pour un message de paix entre les hommes. Tous ces cadavres, ces vies sacrifiées pour la Foi en une humanité libérée de ces vieux démons.

Tous ces gens qui sont morts pour l'Amour seraient donc morts en vain ? À mes yeux, ce phénomène historique de l'endiguement progressif de la violence s'explique en partie par ces innombrables sacrifices qui contiuent encore aujourd'hui à se faire pour la Paix. Tout se passe un peu comme si le sang des martyrs pour la Paix avaient une propriété neutralisante sur l'espèce humaine dans son entièreté. Plus le sang innocent coule, et plus l'humanité a en horreur ce qu'elle fait.

Dernière chose à mentionner concernant le christianisme. Les liturgies/messes chrétiennes réalisées chaque dimanche partout dans le monde commémorent le sacrifice du Christ en lui dédiant un sacrifice non sanglant. Depuis deux mille ans, le Christ a été crucifié. Chaque semaine, les différentes églises commémorent cela en réalisant un rituel qui refuse de faire couler le sang. Comment cela ne pourrait-il pas avoir un impact sur l'espèce humaine ?

Le Christ, par l'ampleur de son acte, a un grand impact sur la psychée humaine, que l'on soit chrétien ou non, croyant ou non. Encore aujourd'hui, le processus d'endiguement de la violence continue, s'approfondit. Le sacrifice volontaire du Christ a été la graine d'un arbre dont les racines invisibles plongent de plus en plus profondément dans l'âme mondiale à chaque génération, modifiant imperceptiblement la société mondiale.

C'est là ce que je pense pour le moment.

 

Je terminerai ma réflexion en pointant du doigt le fait même que pour le moment, le monde inventé du Trône de fer ne montre aucun signe d'avoir connu la figure d'un Messie dans son histoire. Aucun homme ne s'est sacrifié pour l'entièreté du genre humain dans cet univers. Il n'y a pas eu que l'on sache de rédempteur. L'humanité est simplement bestiale et livrée à elle-même. Comment pourrait-elle donc connaître un affaiblissement progressif de la violence ouverte ?

Cependant, il est bien entendu que la série est encore en cours, que ce soit sous forme télévisée que sous forme romanesque. Attendons donc de voir ce que Georges Martin nous réserve.

Toujours est-il que cette série m'a permis de développer cette petite réflexion. Merci à elle.

 


18/02/2019
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[Critique] Les Éveilleurs (autrice : Pauline Alphen)

C’est dur d’expliquer pourquoi Les Éveilleurs est une série que je trouve personnellement géniale. Probablement parce que les raisons en sont multiples, et pas forcément faciles à transcrire sous forme de mots. Mais je vais faire de mon mieux.

 

J’ai découvert cette série quand j’avais 16 ans (il y a donc sept ans de cela). Je flirtais alors avec le rayon fantastique et science-fiction de la bibliothèque municipale à la recherche d’une nouveauté qui me plairait. Et je suis tombé sur le premier tome des Éveilleurs.

C’était alors la version du tome selon la couverture Hachette où l’on voyait deux jeunes adolescents, l’un en méditation, l’autre debout, avec un lien doré les unissant dans un environnement naturel où un château se dessine en arrière-plan. Le titre m’avait pour tout dire déjà appelé. Les Éveilleurs. Un titre des plus singuliers, et des plus mystérieux. Car il sous-entend qu’au moins deux personnes sortent du sommeil une ou plusieurs personnes qui n’ont jamais connu que le rêve. Moi qui à l’époque m’intéressait au bouddhisme, j’étais déjà prédisposé à aimer le titre et sa signification si profonde. Bien entendu la couverture n’a fait que renforcer ma curiosité.

Et sa lecture… Sa lecture a été quelque chose de singulier. C’était la première fois que je lisais un livre qui me donnait les sensations que cette série m’a donné.

Pour commencer, l’ambiance. Pour une série pourtant post apocalyptique, il se dégageait une ambiance extrêmement écologique et surtout douce et paisible. Les personnages de la série affrontent tous la vie avec ses difficultés, et pourtant j’ose dire que la guerre est absente de cette série. Il n’y a pas d’ennemis déclarés avec Les Éveilleurs. Aucun antagoniste ne vient véritablement (pour l’instant) s’incruster dans l’histoire. Oh, il y a bien une vague menace, une rumeur lointaine de gens qui ont des objectifs destructeurs pour le monde de Salicande et les gens qui y vivent. Pourtant, malgré cette rumeur lointaine, et quelques scènes de bataille, j’ose dire qu’il n’y a pas de guerre, pas de conflit et pas d’antagoniste. Le livre ne montre pas les combats comme quelque chose d’inévitable. Le pacifisme et la légitime défense sont mis en avant. Les personnages sont des sortes de « guerriers pacifiques ».

Cette série réussit le tour de force de créer une histoire passionnante sans avoir recours à la figure de l’antagoniste. Une série en paix.

Dans cette atmosphère pacifiste se retrouve mêlé tout ce qui découle selon moi de la paix : un sentiment général de sérénité, d’humilité et de joie.

 

Car la joie se retrouve aussi clairement visible à travers les pages de cette série. Elle transparaît à travers les lignes, entre autres dans les descriptions poétiques de la nature, à travers les carnets de voyage des Nomades de l’Écriture, et à travers les personnages des élémentaux. Les personnages humains sont bien sûr confrontés à des problèmes tant extérieurs qu’intérieurs, pourtant la joie quasi intangible qui imprègne l’univers de Salicande vient les sauver, les tirer de leur léthargie, les éveiller de leurs sombres rêves de tristesse et de solitude. Quand j’y pense, cette joie que j’essaye maladroitement d’expliquer se retrouve manifestée dans l’histoire à travers les élémentaux. Ils sont à mes yeux les réceptacles manifeste de cette joie qui se ressent à travers les pages de l’histoire. Ils sont les petits éveilleurs à l’intérieur de la série qui transcendent les dimensions et transmettent la joie aux lecteurs réceptifs.

 

Cette joie se retrouve aussi à travers l’écriture ; l’écriture tant à l’intérieur du roman que l’écriture de l’auteur de l’histoire elle-même. Toute la symphonie des Éveilleurs est un hymne constant au voyage que représente l’écriture, qu’elle soit faite de prose, de poésie, ou d’autres choses. La série est une poésie intégrale dédiée au métier d’écrivain et à son art. La série entière témoigne ainsi, et entre autres, de la joie renouvelée qu’éprouve sans doute Pauline Alphen devant son métier d’écrivain, et son activité d’écriture. C’est un peu comme si la série, à la manière d’un miroir, reflétait l’amour qu’elle a reçu lors de sa conception, non seulement à sa créatrice, mais aussi et surtout aux lecteurs qui la liront.

Tout au long de la lecture des tomes de cette série, j’ai pu ressentir tout l’amour que contient ces lignes. J’ai vraiment perçu, sans trop savoir comment, avec quel soin chaque ligne avait été écrite. Je me souviens avoir fini le premier tome et avoir pensé : je suis sûr que Pauline Alphen aime ce qu’elle crée, et que son travail la rend heureuse en retour.

En conséquence, la lecture de cette série ranime toujours en moi le désir d’écrire, non pas en imitant le style d’écriture de Pauline Alphen (inimitable je crois bien), mais en ayant un fond à l’image de ce que cette série transmet : l’amour.

Cette série me rappelle toujours ce qu’est l’écriture : un voyage libre car librement consenti. Un voyage qui se fait en étant heureux, et dont le seul but est d’être heureux.

 

Bien entendu, il existe des éléments plus concrets de l’histoire que je trouve aussi très bien faits. Les pages décrivant le futur anticipé et sa civilisation globale du jeu est pour moi d’une grande pertinence, car on en retrouve des signes éparses de ci et de là à notre époque. Les personnages, tous plus attachants les uns que les autres. (Mon personnage préféré est Blaise, auquel je me suis peu ou prou identifié sur certains points.) La société salicandaise utopique qui donne une telle atmosphère de simplicité et d’écologisme, et que j’aimerais bien voir un jour de mes propres yeux…

Mais tout cela n’est que l’aspect extérieur du roman. Il est la forme que prend l’histoire. Un vêtement. Si le fond était différent, sûrement cette série ne m’aurait pas autant marqué.

 

Oui, Les Éveilleurs est une série qui m’a énormément apporté. Mon envie d’écrire s’est trouvé renforcée. Ma calligraphie a trouvé sa forme définitive (jusqu’à présent) en découvrant la calligraphie des cahiers des Borges (celle de la première version Hachette du premier tome). Mais plus que tout, c’est ce fond si débordant de paix, de joie et d’amour qui m’a profondément marqué. Cette série, tout comme ce que veulent les élémentaux dans la série, a su éveiller quelque chose en moi : comme un souvenir, une sorte de réminiscence de ce que peut être l’immensité de la joie, de la paix, de l’amour.

 

J’aimerais vraiment remercier Pauline Alphen pour son travail formidable, ainsi que Hachette, qui a bien voulu éditer cette perle, et qui craint bien inutilement pour le lectorat. D’une part parce que je crois que les fans se souviennent sans peine de cette incroyable série qui en conquerra encore de nombreux. D’autre part parce que les Éveilleurs remplissent très bien ce qu’ils sont venus faire.

 


09/02/2019
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