Plume doigt

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Manga


[Interprétation et analyse] Magi (mangaka : Ohtaka Shinobu) : La victimisation détruit le monde.

Dans le monde du manga, il existe énormément de motifs répétitifs, et l'univers de référence en fait partie. C'est ainsi que l'on peut observer énormément d'histoires se déroulant au Japon (ou dans un pays de type occidental), ou encore dans un pays fantastique/science-fictionnel soit à consonnance japonaise, soit à consonnance occidentale.
Pour ainsi dire, il est rare de trouver des mangas dont l'histoire se passe ailleurs que dans un décor de référence japonais ou occidental.

C'est en cela que le manga Magi vient apporter une bouffée d'air frais. L'autrice a en effet choisi comme univers de référence (en tout cas au début) le cadre des Mille et une nuits. Le Moyen-Orient et ses lampes magiques, ses djinns, ses tapis volants, ses trésors s'ouvrent à nous, lecteurs.

Mais commençons par résumer rapidement l'histoire pour ceux qui ne connaissent pas ce manga :

 

 

Un jour surgit du désert un jeune garçon du nom d'Alladin, détenteur d'une flute magique d'où peut surgir un djinn bleu à chaque fois qu'il souffle à l'intérieur. Apparu de nul part, il va rapidement se lier d'amitié avec les gens qu'il rencontre, notamment Ali Baba, un jeune homme qu'il rencontré dans une caravane. Séduit par la personnalité d'Ali Baba, Alladin va l'entraîner dans l'exploration d'un donjon duquel ils vont ressortir avec un immense trésor, et un autre djinn au service d'Ali Baba.
Suite à cette expérience, Alladin et Ali Baba vont se lancer à la découverte du monde et en découvrir la complexité. Ils vont notamment avoir affaire à une organisation, Al-Samen, qui veut plonger le monde dans les ténèbres pour se rebeller contre le destin, force immuable qui dirige toute vie.

 

Pour tout dire, Magi est un manga au propos large et varié. On peut tout autant y lire une fable politique, qu'une fable sociale ou même écologique.

En effet, le manga présente plusieurs royaumes et empires à la tête desquels se trouvent des rois et empereurs possédant des djinns qui leur donnent des pouvoirs surhumains. Chaque roi a un mode de gouvernement propre, une politique et un dessein propre. Et la question se pose : qu'est-ce qui fait un roi ?

On nous montre aussi le système social pyramidal capitaliste et ses déviances (avec le royaume de Balbad), ainsi que le système social socialo-communiste et ses déviances (le royaume de Balbad passé sous la domination de l'empire Kô).

La guerre et la paix, ainsi que leurs conséquences, la destruction totale de l'écosystème d'un monde avec ses causes et ses conséquences, tout cela est abordé dans Magi.

 

Il s'agit donc d'une histoire complexe, mais ce qui le rend particulier, c'est sa dimension spirituelle, extrêmement riche et fournie. J'aimerais pouvoir en faire une description exhaustive, mais ce ne sera pas possible. Aussi vais-je me contenter d'aborder le thème majeur du manga dont tout découle : l'opposition entre "les gentils" et "les méchants".

 

La mangaka prend en effet un soin tout particulier à traiter de la dualité existant entre ceux qui vivent pour aller de l'avant, avancer et vivre, et ceux qui vivent pour détruire, stagner dans le passé et mourir. Qu'entends-je par là ?

Dans l'univers de Magi, il existe un phénomène que l'on appelle les rukhs, représentés comme des sortes de petits oiseaux (blancs ou noirs). Ces rukhs sont à la fois la force vitale qui anime toute vie, et à la fois les vecteurs des consciences de chaque être humain en hébergeant notamment les souvenirs.

Chaque personne est constituée de rukhs, et chaque personne à sa mort réintègre le grand flux de la vie créé par les rukhs, et que le manga appelle "Destin". Ce Destin est positif, car il incite naturellement les gens à aller de l'avant, à ne pas sombrer dans le désespoir...
Et à côté de cela, il existe des gens qui sombrent dans la déchéance : ils franchissent le "point d'inflexion" et leurs rukhs blancs à l'origine deviennent noirs. Cette chute se produit dès lors qu'une personne se met à haïr et à maudire son destin en se rebellant contre lui. Les déchus, comme on peut les appeler, voient en le destin une force contraignante emprisonnant l'humanité sur un chemin tout tracé. Bien sûr, ils interprètent mal ce qu'est le destin, mais cela les pousse à vouloir détruire le monde pour s'affranchir du destin.

Nous avons donc d'un côté les gens "normaux" qui vont de l'avant (les gentils), et les déchus qui ont maudit leur destin, leur vie (les méchants).

Une énième histoire bêtement manichéenne ? Pas tant que ça.

 

 

Premièrement, les déchus peuvent se relever de leur déchéance et réintégrer le flux des rukhs blancs. Et pour cela, rien de plus simple : il suffit qu'ils le décident en changeant leur perception de leur vie et de leur destin.

D'un point de vue psychologique, la déchéance est très intéressante à décrire. Elle touche en effet ceux qui ont vécu dans leur vie une expérience traumatique qu'ils refusent de digérer. Nous avons ainsi par exemple une ex-princesse d'un royaume disparu qui a été chassée dans son enfance par les révolutionnaires, et qui a vu tous ses proches mourir sous ses yeux. Le traumatisme de cette expérience a créé en elle une haine terrible pour son destin qu'elle s'est juré de détruire.

Pour reprendre une image plus simple, la déchéance touche ceux qui trébuchent et refusent de se relever. J'emploie volontairement le verbe "refuser", car tout est question de choix. Quelle que soit la situation, je crois que l'être humain est capable de garder la tête haute et d'avancer. Renoncer et rester allongé par terre s'appelle sous un autre nom "la victimisation".

Et c'est bien ce qui caractérise les déchus : ils se croient victimes du destin. Ils refusent de porter le poids de leur vie, et préfèrent accuser autrui, que ce soit une personne, un fait, ou une situation.

 

De ce point de vue, Magi est extrêmement intéressant, car il nous dit, en somme, que les méchants qui veulent détruire le monde (et qui ont déjà réussi une fois) sont en fait les gens qui se placent en victimes.

 

Deuxièmement, malgré mon point de vue très tranché sur la victimisation, il se trouve que certains personnages déchus sont attachants. Les circonstances qui les poussent à se victimiser sont tous extrêmes, au point qu'il est aisé de les comprendre dans leur colère. (C'est d'ailleurs un des seuls bémols du manga, tous les déchus ont vécu quelque chose d'extrêmement violent. Dans la réalité, j'ai vu des gens se victimiser pour bien moins qu'une guerre).

"C'est sûr que si j'avais vécu ça, ce serait dûr aussi."

Je continue à croire que l'on peut se relever de toute chute, mais l'empathie est tout à fait possible.

Une histoire manichéenne, donc ? Je ne crois pas. Pas du tout. La meilleure preuve en est que certains "gentils" deviennent "méchants", et vice-versa.

 

Il reste bien des choses à dire sur Magi, même du point de vue spirituel. Pourtant, c'est uniquement sur ce thème que je vais rester car il me semble le plus important.

Ce manga est un hymne à la vie, à l'immensité du monde, au voyage, aux différences de culture. Il incite chaque lecteur à prendre sa vie en main, à voir la beauté de la vie plutôt qu'à se complaire à se plaindre et à accuser autrui.

Et moi, après avoir parlé de ce sujet, j'ai une question à vous poser :

 

Est-ce qu'il est envisageable de croire que c'est l'auto-victimisation qui, au fond, détruit tout sur cette Terre ?

 

 

 

 

 


27/07/2019
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[Critique/Analyse] Que sa volonté soit faite (auteur : Tamiki Wakaki) : psychologie et lutte entre idéal et réalité.

Que sa volonté soit faite est un manga publié au Japon entre 2008 et 2014, et partiellement adapté en dessin animé, dont l'auteur est Wakaki Tamiki (je rappelle que je suis l'usage japonais de placer le nom avant le prénom). Ce manga est un peu particulier dans ma bibliothèque parce que le sujet principal dont il traite est assez frivole. Mais voyez plutôt :

 

Katsuragi Keima est un jeune lycéen dont la vie se résume aux jeux vidéos. Mais pas n'importe quels jeux. Keima ne joue qu'aux jeux de drague. (Il existe au Japon un genre de jeu vidéo dans lequel on joue à draguer des filles.) Il apparaît donc comme l'associal par excellence, et est copieusement méprisé par tous et toutes, enseignants compris. Lui-même ne veut absolument rien avoir à faire avec la réalité qu'il juge être "un jeu de merde", à la qualité bien trop basse. Son idéal se situe dans le monde des jeux de drague... Sa passion pour ces jeux l'ammène à une rapidité et à un pourcentage de réussite dans les jeux de dragues qui confine au divin. Keima se nomme lui-même "le dieu tombeur", c'est dire.

Cependant, un jour, il reçoit un étrange e-mail dans lequel on le met au défi de réussir à draguer une certaine fille. Piqué dans son amour-propre, il répond automatiquement. À peine la réponse envoyée qu'une jeune démone du nom d'Elsy apparaît face à lui, et lui explique qu'il vient de signer un contrat dans lequel il s'engageait à chasser du coeur des jeunes filles des âmes qui se sont échappées des enfers. Problème, Keima n'a jamais dragué de filles réelles...

 

 

Le principe de l'intrigue est simple. Certaines filles ont une faille dans leur coeur, et des âmes maléfiques viennent y habiter. Le seul moyen de les en faire sortir est de colmater la brèche en utilisant l'amour. Keima étant un pro de la drague virtuelle, il devrait être capable de faire tomber facilement le coeur des jeunes filles habitées...

Et c'est là que l'intrigue est très amusante. Si le manga ne cesse de nous parler de la différence existant entre la réalité et les jeux vidéos, entre la 3D et la 2D, Keima utilise les techniques apprises dans les jeux pour draguer dans la réalité... et ça marche ! Paradoxe !

Bon, Keima et son univers étant fictif, ce n'est pas étonnant. Il utilise des techniques fictives dans un univers fictif après tout. Donc, ce n'est pas autant un paradoxe que ça.

Pourtant, si l'histoire du manga est indubitablement fictive, certains éléments de l'intrigue me semblent remarquablement réels. Ces éléments sont notamment la psychologie des personnages, et c'est sur ces points que je veux m'attarder.

En effet, les failles dans le coeur des filles que Keima doit colmater sont en fait des peurs que chacune des filles doit surmonter. Soit :

 

-La peur de ne pas réussir (chez Takahara Ayumi) ;

-La peur d'oublier le passé (chez Aoyama Mio) ;

-La peur d'être invisible (chez Nakagawa Kanon) ;

-La peur de s'exprimer (chez Shiomiya Shiori) ;

-La peur de l'échec (chez Hakua) ;

-La peur d'assumer ce que l'on considère comme une faiblesse chez soi (chez Kasuga Kusunoki) ;

-La peur d'être banale et de le rester (chez Kosaka Chihiro) ;

-La peur de ne pas voir ses efforts récompensés (chez Nagase Jun) ;

-La peur d'appartenir à ce monde et d'y vivre (chez Kujô Tsukiyo) ;
-La peur du changement (chez Ikoma Minami) ;

-La peur d'être incapable d'imposer ses objectifs face à ses parents (chez Uemoto Sumire) ;

-La peur de perdre (chez Haibara Nanaka) ;

-La peur d'être qui on est par rapport aux attentes familiales (chez Goidô Yui) ;

-La peur de décevoir les attentes de ses proches (chez Kasuga Hinoki).

 

 

La première remarque à se faire est qu'il existe plusieurs peurs qui se recoupent. Les deux dernières par exemple qui sont différenciables par de simples nuances saisissables uniquement si l'on a lu le manga. Cela dit, je pense que c'est le reflet de la diversité des peurs qui existent entre les individus. Elles se retrouvent dans chaque personne avec des raisons et des backgrounds différents. La seconde est que la peur que l'on peut relier directement ou indirectement à l'échec sont les plus nombreuses (Ayumi, Hakua, Chihiro, Sumire, Nanaka, Hinoki). Et je relie ce constat à la propre psychologie du mangaka Wakaki Tamiki.

 

En effet, quand on connaît l'histoire de cette personne, on peut supposer qu'il doit bien connaître la peur de l'échec et ce qui s'y rapporte. Si j'en crois le site Wiki de Que sa volonté soit faite en anglais, sa vie a été dure durant la vingtaine. Il fut le gagnant d'un prix de manga à 21 ans, avant d'être mis à l'écart à cause de son incapacité à s'adapter au rythme de sérialisation hebdomadaire des séries de manga (rythmes très durs qui font souvent des mangakas des êtres sans vie sociale). De 22 à 26 ans, Wakaki Tamiki a fui la réalité dans les jeux vidéos avant de se décider à enfin réagir. Mais ses efforts n'ont pas tout de suite rencontré le succès, et il a encore traversé une dépression à l'âge de 28-29 ans avant de commencer à lentement remonter la pente à partir de ses 33 ans. Il finit par publier pendant deux ans Seikesshô Albatross, avant de voir sa série être interrompue par ses éditeurs. À 35 ans, son compte bancaire affiche 10 000 yens ( environ 75 euros).

À 36 ans, il finit enfin par accoucher de Que sa volonté soit faite, manga qui met à profit son immense expérience de joueur de jeu de drague, et qui comporte de nombreux éléments tirés de sa propre vie, dont le comportement de Keima et les peurs présentes dans les filles qu'il doit draguer.

 

Pour ma part, je suis persuadé que ce manga est de type cathartique. C'est une série qui a permis à son auteur d'exorciser ses démons. Il y a mis son moi de joueur, ses peurs, ses espoirs, sa colère, ses échecs. S'il est facile de voir en le personnage de Keima le moi de Wakaki Tamiki, je pense que le moi du mangaka se retrouve aussi dans les filles que Keima conquiert, de par les peurs dont elles sont affligées.

Car si l'on peut résumer une conquête dans ce manga à faire tomber une fille amoureuse, je préfère m'attarder pour ma part sur la raison qui fait que les filles sont séduites dans le manga. En effet, à chacune d'entre elles, Keima vient apporter une réponse qui leur permet de sortir de leurs peurs. C'est cette réponse "médicinale" qui comble la faille dans leurs coeurs et qui les fait tomber amoureuse.

Ainsi, Keima inspire la confiance en soi dont les filles sont dépourvues. Et c'est bien le seul remède connu à la peur de l'échec.

 

Ce manga est aussi intéressant car il parle de la distance qui sépare la réalité de l'idéal. Nous avons tous en nous un monde idéal. Nous nous sommes tous dit un jour : "ce serait bien si le monde était comme ceci". Mais le monde réel est bien loin de notre idéal. Et le personnage de Keima le sait bien mieux que quiconque. Lui dont l'idéal se situe dans les jeux vidéos de drague, il traite la réalité de "jeu de merde" car les gens ne s'y comportent pas de manière rationelle et logique, suivant un patern déterminé (comme dans les jeux).

La lutte entre l'idéal et la réalité fait rage tout au long du manga. Si Keima ne quitte jamais vraiment le monde du jeu de drague, cela ne veut pas dire que la réalité ne marque pas des points non plus. Tout au long de l'histoire, Keima se transforme, devient moins extrémiste dans sa façon de voir la réalité et son idéal. Il se rapproche davantage des gens et se sociabilise un tantinet.

Et c'est le processus par lequel tout le monde passe. L'ajustement entre réalité et idéal est une étape nécessaire afin de vivre en équilibre et en paix en ce monde. Ceux qui maintiennent une position sans compromis, c'est-à-dire plongée entièrement dans l'idéal ou dans la réalité, sont malheureux. Sans idéal, la réalité est simplement terne et triste. Refuser la réalité au profit de l'idéal, c'est vivre une vie qui n'en est pas une : un enfer permanent où l'on vit en autharcie totale.

C'est ce que Keima finit par comprendre petit à petit. Lui qui, au départ, ne vit que pour ses jeux, finit par se battre pour assurer la sécurité de son entourage, et donc, de sa vie bien réelle et quotidienne.

 

Que sa volonté soit faite est donc un manga plus complexe que ce que l'histoire de base laisse penser. Il me semble que ce manga est le médicament personnel que son mangaka s'est administré à lui-même pour avoir confiance en soi. Preuve, donc, que nous connaissons toujours au fond de nous les solutions à nos problèmes. C'est aussi une histoire qui raconte le délicat équilibre entre réalité et idéal. Un manga fictif donc, mais très réaliste vu sous l'angle de l'image de l'idéaliste confronté à la réalité.

 

Amusant, frivole, drôle, culturel même (si l'on s'intéresse au mouvement des jeux de drague japonais), ce manga sait aussi être touchant, poétique et profond.

Pour ma part, ce manga est aussi le grand gagnant du style de dessin le plus mignon que je connaisse.

 

 

Quel grand manga !

 


28/04/2019
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[Réflexion] Soul Eater (auteur Atsushi Ohkubo) : D'où provient la folie de la peur ?

 

 

Voici quelques années que le manga Soul Eater d'Okkubo Atsushi a fini d'être entièrement publié en France. Au total, nous avons ainsi eu droit à 25 tomes d'une série de type shônen dont le style de dessin particulier, les personnages attachants, et les thèmes intéressants ont contribué à faire parler d'elle.

 

Mais commençons d'abord par rapidement résumer la série pour ceux qui ne connaîtraient pas.

Le monde de Soul Eater ressemble au nôtre. Pourtant, quelques différences majeures sont à noter. L'existence de sorcières, des femmes ayant un animal totem les représentant, ainsi que d'armes démoniaques, des personnes capables de se transformer en une arme. Le shinigami (dieu de la mort) est à la tête de ce monde et se charge de maintenir l'ordre. Il a fondé une école pour que les armes démoniaques apprennent à maîtriser leurs pouvoirs. Pour ce faire, la formation de meisters, des êtres humains normaux ayant appris à manier les armes démoniaques, est tout aussi nécessaire. Les élèves de cette école sont donc répartis par binômes, un/une meister et une arme démoniaque (fille ou garçon). C'est ici que nous retrouvons Maka Albarn, meister spécialiste du maniment des faux, et Soul Eater, faux démoniaque. Leur but, transformer Soul en Death Scythe, une arme plus puissante que la normale. Pour ce faire, Soul doit ingérer l'âme ternie de 99 criminels ainsi que l'âme d'une sorcière. Les voila partis en chasse !

 

Comme dans tout shônen qui se respecte, la conception du bien et du mal au début du manga est très binaire : méchants d'un côté, gentils de l'autre. Les méchants sont les criminels et les sorcières. Les gentils sont les élèves de Shibusen (nom de l'école) ainsi que le maître shinigami.

Mais pourquoi les méchants sont-ils méchants ? La raison est plus intéressante que le simple "parce qu'ils sont méchants".

Dans Soul Eater, les méchants sont méchants car ils ont succombé à la folie. Avant de sombrer, eux aussi étaient gentils. La folie guette. Il n'est pas assuré que le gentil d'aujourd'hui soit le gentil de demain. Cela ne prend qu'un claquement de doigt pour rejoindre le côté obscur des âmes.

Rapidement, Maka et Soul, ainsi que leurs amis, se rendent rapidement compte que leur pire ennemi n'est autre qu'eux-mêmes.

Chaque faiblesse de leur caractère peut les faire trébucher et les perdre.

 

Atsushi Ohkubo divise rapidement la folie en plusieurs catégories qui correspondent plus ou moins au 7 péchés capitaux.

 

La folie de la luxure.

La folie de la gourmandise.

La folie de la paresse

La folie de la colère.

La folie de la jalousie.

La folie de la cupidité.

La folie de l'orgueil.

 

La folie de la peur.

La folie de l'ordre.

La folie du pouvoir.

 

Chacun de ses concepts peut amener à la folie. Et c'est ma foi très intéressant. Nous n'avons pas l'habitude de considérer le péché comme une folie. Oh, on nous dit bien que c'est folie de comettre un péché, mais on nous pousse surtout à nous sentir coupable lorsque l'on pèche. Du coup, l'aspect psychiatrique de la notion de péché passe complètement à la trappe. Pourtant, si l'on y réfléchit bien, on finit par voir en quoi le péché quel qu'il soit est une maladie mentale. Certes, nous péchons tous, et nous ne sommes pas tous dans un asile psychiatrique. Mais cela veut-il dire que nous allons bien dans nos têtes ?

Les guerres sur le globe. La France, premier pays du monde à être en dépression, etc.

Et si la gourmandise était une maladie mentale ? Et si l'orgueil était une maladie mentale ? Considérons juste ce point de vue : dès que je suis jaloux, je deviens malade mental. Dès que je me mets en colère, je suis un malade mental. Dès que je cherche la luxure, je suis un malade mental, etc.

 

À côté de ces 7 péchés capitaux, Atsushi Ohkubo rajoute la peur, l'ordre et le pouvoir. Ces trois notions sont à part, et elles ne font pas partie de la liste des 7 péchés capitaux. Pourtant, les folies qu'elles représentent sont primordiales dans ce manga. Elles sont pour ainsi dire mises à l'honneur par le mangaka. L'ennemi principal du manga, le grand dévoreur, est celui qui distille la folie de la peur. La peur est, comme on l'a dit, le grand ennemi des élèves de Shibusen. Elle est ce qui fait plonger le monde dans la folie.

Ici, j'ai l'impression qu'il me faut tout de même faire cette remarque. Dans le manga, peur, ordre et pouvoir sont séparés. Pourtant, à mon sens, les trois sont liés. Ou plutôt, ordre et pouvoir ne sont que des déclinaisons de la peur.

On le voit dans l'histoire, certains personnages plongent dans la folie par peur de se confronter aux autres, et recherchent ainsi le pouvoir d'imposer leur propre ordre au monde. Certes, d'autres personnages basculent dans la folie de l'ordre ou du pouvoir sans passer par la peur, mais je ne vois pas comment on peut désirer l'ordre ou le pouvoir  au point d'en faire une obsession sans avoir peur de quelque chose.

 

D'où ma petite réfléxion du jour. Nous avons parlé du fait que le péché pouvait être vu comme une maladie mentale. Mais qu'est-ce qui provoque cette maladie mentale ? Qu'est-ce qui fait que nos esprits sont malades ?

Quelqu'un m'a un jour dit : il n'y a que deux pensées à l'origine de tout dans l'univers. L'amour ou la peur.

L'amour serait ainsi la pensée avec laquelle notre esprit est dans un état normal, tandis que la pensée de la peur nous fait dérailler dans la folie du péché ?

Si l'on tient pour vrai cette proposition, alors la folie serait une simple pensée de peur.

J'ai peur, je suis fou. Ou plutôt, je suis fou d'avoir peur !

Qu'est-ce que la peur au final ? Que se cache-t-il derrière la peur ? Quelle est la raison d'être de la peur ?

 

Une fois, je me suis rendu compte que j'avais peur de décevoir un ami pour une raison stupide que j'ai oubliée. En analysant sur le coup la raison de cette anxiété, je me suis apperçu que j'avais peur de décevoir, non pas mon ami, mais plutôt moi-même. J'avais peur de ne pas réussir et de manquer de me prouver à moi-même que je pouvais y arriver. Je voulais ainsi prouver que je pouvais me débrouiller tout seul, sans l'aide de personne.

Si je reçois de l'aide, je suis un minable. C'est la pensée qui se cachait derrière ma peur.

Mais recevoir de l'aide de qui ? À qui voulais-je montrer que je pouvais me débrouiller tout seul ?

J'étais seul chez moi. Je n'avais physiquement personne à qui prouver quoi que ce soit.

 

Il est dit dans la théologie chrétienne que Jésus-Christ est le sauveur de l'humanité. Ce qui implique qu'en dehors de lui, sans son aide (donc l'aide de Dieu), personne ne peut arriver à trouver le Paradis, à trouver la paix et la joie véritable. Sans Dieu, quoi d'autre que l'enfer ?

Je voulais certes me prouver que je pouvais le faire. Mais plus que tout, je voulais prouver, montrer à Dieu que je pouvais me débrouiller sans son aide. Et j'avais peur de ne pas y arriver, parce qu'au fond, toute personne sait qu'elle est faible et incapable de faire les choses parfaitement.

J'en suis arrivé donc à cette conclusion : la racine de la peur se trouve dans la volonté de vivre sans l'aide de Dieu, dans la volonté de Lui prouver que l'on sait faire tout, tout seul.

Aussi, je peux le dire, je suis fou d'avoir peur.

 

Alors, qu'est-ce qui provoque la maladie mentale dans mon esprit ? La peur. La peur de ne pas y arriver seul. Et donc, l'orgueil et la prétention de pouvoir réussir à vivre sans Dieu, à se passer de Son aide.

Et comme l'espèce humaine possède à mon sens une nature commune, il est de mon avis que cet orgueil et cette prétention se retrouvent chez absolument tout le monde.

Aussi, nous sommes malades mentalement, car nous avons peur de ne pas réussir sans Dieu, tout en faisant tout pour vivre sans lui...

Dis comme ça, notre façon de fonctionner est complètement illogique et tordue. Nous nous efforçons de vivre sans Dieu, tout en reconnaissant indirectement de par la peur que nos tentatives engendrent que nos essais sont voués à l'échec. En effet, qui peut réussir sans l'aide de Dieu ?

Nous marchons sur la tête. Nous sommes donc bien fous.

 

Quoi qu'il en soit, merci à Soul Eater pour m'avoir donné l'opportunité de cette petite réflexion.

 


09/03/2019
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[Interprétation] Naruto (auteur : Masashi Kishimoto) : un manga mystique

Le manga Naruto est un grand manga, et ce pour plusieurs raisons. La qualité de l’histoire, le développement des personnages, les thèmes abordés comme la solitude, l’acceptation des autres, la guerre, la paix…

Je ne reviendrai pas sur ce qui a contribué au succès de ce manga. Ici, je m'efforcerai au contraire de développer une certaine interprétation que l’on peut qualifier de mystique.

Cette interprétation essayera entre autre de répondre aux critiques de certains fans concernant le traitement de certains personnages (Sasuke et Naruto), ainsi que le traitement de certains arcs narratifs et leur résolution.

 

Pour commencer, et afin de mieux clarifier ce que j'appelle une interprétation mystique, je vais faire la différence entre pensée mystique, et pensée rationnelle.

Qu’est-ce que la pensée rationnelle ? Il s’agit de la façon de penser la plus mise en valeur par la société, et que nous appliquons dans notre vie de tous les jours. Il s’agit de percevoir la vie, de réfléchir, et d’agir selon la logique imposée par les faits matériels. Typiquement, pour qu’une chose soit valable, il faut la prouver, et avoir des arguments recevables s’appuyant sur des faits concrets. La pierre peut construire un mur, car elle est solide et imperméable. C’est du concret. Nous pouvons tous voir la pierre constituant le mur.

À l’opposé, nous avons la pensée mystique. Il s’agit de la façon de penser se basant sur des théories abstraites, religieuses, soumises à la foi et à la sensibilité des personnes. La pensée mystique a une logique qui lui est propre, qui se passe de preuves concrètes pour se justifier. Jésus Christ est le Messie rédempteur de l’humanité. Il a sauvé le monde entier de par sa crucifixion. Comment il a fait pour nous sauver tous par l’acte physique de sa mort, aucune preuve tangible ne peut nous l’expliquer. Cependant, si l’on se base sur la lecture de la Bible comme étant un ensemble de prophéties annonçant la venue du Messie, alors tout commence à prendre un aspect plus concret. Le contexte religieux commence à donner de l’épaisseur à cet acte rédempteur. Tout s’explique si l’on se base sur l’existence réelle de Dieu, ou d’une divinité, ou d’une Présence intangible, invisible.

Il est intéressant de voir que la pensée rationnelle demande des preuves, tandis que la pensée mystique se base sur un contexte religieux et intangible qui permet d’appuyer son existence. Car ces deux pensées, nous le verrons, s’opposent constamment tout au long de l’histoire de notre manga à travers les personnages s'appuyant sur la logique concrète et des preuves et les personnages se basant sur la Foi intangible.

 

Ainsi, j'ai la prétention de penser que Naruto est un manga qu’il faut lire en ayant recours à la pensée mystique, plutôt qu’à la pensée rationnelle.

Pourquoi ? Et bien l’exemple le plus flagrant que Naruto est une histoire mystique se trouve probablement dans la façon dont Nagato Pain a été neutralisé par Naruto.

Pain, convaincu de détenir la bonne solution pour parvenir à la paix, demande alors à Naruto comment il compte s’y prendre pour pacifier le monde des ninjas sans avoir recours à la force. Tous les lecteurs percevant le manga sous un angle rationnel s’attendaient donc à ce que Naruto doive convaincre Pain par des arguments logiques s’il veut l’arrêter. Problème : tout le monde voyait bien que Naruto n’a pas le moindre début de réponse solide à apporter à son adversaire. Et pourtant, notre jeune ninja le persuade « comme par magie » de s’arrêter en utilisant un simple livre dont le personnage s’appelle Naruto. Les critiques ont fusé, en assimilant ce moyen de persuasion à un simple « c’est pas gentil d’être méchant ».

D’un point de vue rationnel, certes, cela est ainsi. Naruto n’avance aucun argument concret pour apporter la paix. Par conséquent, il s’agit d’une facilité de scénario utilisée par maître Kishimoto qui n’avait aucune idée pour aboutir à un dénouement censé.

Tout prend sens cela dit si l’on a recours au point de vue mystique. J'avance donc l’idée comme quoi maître Kishimoto, au contraire, savait parfaitement ce qu’il faisait et où il allait avec l’ensemble de son histoire.

Nous en viendrons à expliquer plus loin comment Naruto a réellement stoppé Pain sans avoir recours au « c’est pas gentil d’être méchant ».

 

Commençons notre début d’explication par une simple question. Qui est le personnage de Naruto ?

Naruto est le personnage principal de l’histoire. C’est au départ un très jeune adolescent orphelin, en mal de reconnaissance, seul et rejeté par le village où il a grandi. Réceptacle de Kyûbi, le démon renard à neuf queues, il est en effet craint et mal vu par l’ensemble de la communauté. C’est par des efforts continus qu’il va progressivement s’imposer aux yeux de ses concitoyens, au point de se faire accepter comme Hokage, le chef du village ninja à la toute fin du manga.

D’un point de vue rationnel, je peux résumer le personnage de Naruto par ces quelques lignes.

D’un point de vue mystique en revanche, cette description ne fournit que le cadre extérieur du personnage. Du point de vue mystique, Naruto est bien plus que cela. Naruto dans la pensée mystique est un Messie, dans le sens où il vient sauver les gens au niveau individuel, comme le monde au niveau global, en leur apportant la paix. L’ensemble du manga est basé sur le caractère messianique du personnage de Naruto. Notre jeune ninja était destiné depuis le début à sauver le monde.

Voici quelques éléments de comparaison avec ce que la Bible nous apprend sur le Christ qui démontrent que Naruto est bien une figure du Messie.

Tout d’abord, il commence sa vie en étant mal aimé et rejeté de tous. On se moque de lui et on le méprise. Or, Jésus est né dans un minuscule bled nommé Bethléem. Il n’avait aucun lien familial proche avec les grands prêtres du temple de Jérusalem. Il est littéralement sorti de nul part, sans aucune recommandation particulière de la part d’une autorité respectée. Si bien qu’il était très facile de mépriser un tel homme pour ceux qui détenaient le pouvoir. Jésus était méprisé et moqué, rejeté, par les gens de son temps détenant l'autorité spirituelle.

Deuxièmement, la venue de Naruto était prophétisée depuis très longtemps. Il nous est dit que son parrain et maître, Jiraya, avait reçu la prophétie (au moins 40 ans à l’avance, comme par hasard) comme quoi il serait l’enseignant de « l’enfant de la prophétie ». Or, tout l’Ancien Testament peut être interprétée comme une longue prophétie annonçant la venue du Christ.

Troisièmement, Naruto sauve le monde en lui apportant la paix, tout comme Jésus sauve le monde en lui apportant le pardon.

Et c’est bien l’action de sauver le monde qui sous-tend l’ensemble du manga Naruto. Au-delà du but du personnage qui est de devenir Hokage, de par sa vie et ses actes, Naruto a plus d’une fois sauvé les gens qu’il rencontre, amis comme ennemis, ainsi que son entourage propre.

Le premier des personnages qu’il sauve est le personnage de Momochi Zabuza. Ce personnage au départ froid, impitoyable et complètement insensible, se transforme subitement sous l’influence de Naruto. Son cœur de pierre se brise, et il redevient un être humain sensible ; il se met à pleurer la mort de son compagnon et « frère », Haku. Par ce simple retournement, Zabuza est sauvé. Il échappe à l’enfer de l’insensibilité et de la guerre en retrouvant ses émotions. Il revient à l’amour en admettant qu’il aime Haku.

Certes, Naruto n’a eu qu’à lui crier son incompréhension devant son attitude insensible. Il n’a pas eu à le persuader longtemps. Mais il faut dire que le personnage de Zabuza était suffisamment bien développé pour que le lecteur voie qu’il n’était pas si loin de ses propres émotions. Quoi qu’il en soit, c’est bien par l’intervention directe de Naruto, même minime, que Zabuza est revenu de son enfer personnel.

Le deuxième personnage qu’il sauve est Hyûga Neji. Ce dernier, enfermé dans sa propre conception du destin auquel il croit dur comme fer au point de faire de sa vie un enfer, est sauvé par Naruto lors de leur combat en face à face. Naruto lui prouve alors en le battant que même si les conditions de vie à la naissance sont mauvaises, par la volonté de se battre, rien n’est joué d’avance. Sauvé de sa mauvaise conception du destin, le cœur de Neji s’allège, et il retrouve la paix de l’esprit.

Le troisième personnage à être sauvé, est celui de Gaara. Enfermé dans sa prison de solitude et de haine, croyant que cela est sa force, Naruto lui démontre la force de l’amour partagé avec autrui en le battant. Sous la force de la révélation, Gaara change du tout au tout : il cesse d’être un danger pour ses proches, et commence à chercher à nouer des liens avec sa famille et son village.

Le quatrième personnage est celui de Hyûga Hinata. Timide, timorée et ayant peu de confiance en elle, Hinata est sauvée par Naruto sur le long terme, par l’exemple même de sa vie que Hinata a sous les yeux tous les jours. C’est en s’inspirant de Naruto qu’elle parvient à se sauver. Ici, le rôle de Naruto est certes indirect, mais il reste décisif.

Il est à noter que pour ces quatre personnages, la façon dont Naruto les sauve est encore logique d’un point de vue rationnel. Neji et Gaara sont battus, et cette défaite est la preuve concrète qu’ils avaient tort. Zabuza était déjà proche de libérer ses émotions, si bien que Naruto n’a eu qu’à l’interpeller, ce qui est encore concevable. Quant à Hinata, son admiration, puis son amour pour Naruto expliquent le changement qu’elle traverse progressivement.

En réalité, il existe un nombre incalculable de personnages que Naruto sauve tout au long de cette série. Ce que j'aimerais montrer du doigt cependant, c’est que la façon de sauver les gens par Naruto avant le tome 28 du manga reste très rationnelle.

Tout change cependant dans la seconde partie du manga, à partir du tome 28. Lorsque Naruto entre dans la partie « shippûden » de son histoire, où la dimension purement messianique de Naruto se fait clairement jour.

 

Tout commence en réalité un peu avant le début de shippûden. La défection de Sasuke est ce qui amorce véritablement la pure dimension mystique de l’aspect messianique chez Naruto. En effet, il est impossible pour Naruto de convaincre Sasuke de renoncer à sa haine et à son désir de puissance par une quelconque preuve physique, en le battant par exemple. En supposant que Naruto arrive à battre Sasuke avant qu’il ne rejoigne Orochimaru, cela ne créerait probablement que d’avantage d’amertume et de désir de puissance chez Sasuke. Car Sasuke est un personnage qui croit en la haine et en la solitude comme facteurs de force. Ceci conjugué à sa rivalité avec Naruto, si ce dernier en venait à le vaincre, Sasuke n’aboutirait qu’à la conclusion que Naruto est plus fort que lui, car la haine que Sasuke porte en lui n'est pas assez grande à ce moment.

Il est impossible pour Naruto au stade d’avant shippûden de faire revenir Sasuke à Konoha. Il faut alors que le personnage évolue du Messie rationnel au Messie mystique.

Et c’est ce qui se passe en passant dans la partie shippûden. Au-delà d’une évolution physique du personnage (prise d’âge, entraînement), c’est surtout son évolution spirituelle (maturité, reprise du flambeau de Jiraya et confrontation au problème posé par Pain) qui lui permet désormais de sauver les individus ainsi que le monde en leur apportant la paix.

 

J'en viens donc à la façon dont Naruto a neutralisé Pain.

La raison pour laquelle l’auteur n’a pas eu recours à un simple « c’est pas gentil d’être méchant » est qu’il a pris soin en préparation de ce moment décisif de développer l’arrière-plan historique du monde dans lequel Naruto évolue. On apprend donc, peu avant sa confrontation avec Pain, que Naruto n’est pas un personnage isolé de l’histoire du monde dans lequel il évolue. Il est le produit d’une quête millénaire de la paix mondiale menée par ses prédécesseurs. Cette volonté de paix pour le monde a été transmise jusqu’à lui par le biais de ses enseignants : Jiraya, mais aussi son père le quatrième Hokage, qui la tenaient de leurs maîtres avant eux. Il s’agit d’une véritable lignée de transmission entre enseignants et disciples, agrémentée d’une prophétie qui annonce la venue d’un sauveur.

Tout ceci ne serait pas complet pour comprendre la défaite de Pain sans le fait que Nagato Pain lui-même fait partie de cette lignée de transmission. Disciple de Jiraya, il a lui aussi reçu de son maître la volonté de trouver un moyen d’instaurer la paix sur Terre. Mais quelque chose lui est arrivé. Au départ empli de Foi et d’espoir en la destinée humaine de trouver la paix, la mort tragique de Yahiko son ami le plus cher à son cœur le fait basculer dans la pensée rationnelle. Sous l’emprise du désespoir, Nagato Pain n’abandonne pas son idéal de paix mondiale. Il change simplement sa façon d’y parvenir. Il abandonne la Foi et l’espoir, pour se tourner vers les moyens logiques, concrets et matériels : la force brute. Au lieu de croire en la paix comme s’imposant naturellement aux hommes, il bascule dans le rejet de cet espoir, et se décide à imposer par la force la paix à tous et à toutes.

L’événement de la mort de Yahiko est ce qui fait basculer Nagato Pain de la pensée mystique à la pensée rationnelle.

Or Naruto, pétri de la volonté de paix de ses maîtres, et qui plus est ayant la Foi, s’oppose radicalement à ce Pain froidement logique. La question que ce dernier lui pose est d’ailleurs celle d’un être rationnel : il lui demande par quel moyen il va instaurer la paix. Mais Naruto n’a aucune réponse. Il sait juste qu’il a la Foi et que la façon de faire de Nagato Pain est mauvaise, car imposer la paix par la force n’est pas la paix.

Ainsi, Naruto n’a pas le choix. S’il veut stopper Nagato Pain, il doit le refaire basculer de la pensée rationnelle vers la pensée mystique. Plus précisément, Naruto doit faire se souvenir Pain de sa Foi avant que Yahiko ne meure.

Comment Naruto a stoppé Pain est simple : il l’a remis en contact avec la Foi née de la pensée mystique. Car la Foi venue de la pensée mystique n’a aucun lien avec le monde matériel. Ou plutôt, elle s’en rit. Peu importe la situation sur la Terre, la Foi mystique transcende les limitations de la réalité. Car elle repose sur l’existence d’un ordre invisible, intangible et immuable, poussant naturellement les hommes à faire la paix. Elle repose sur quelque chose de l’ordre du divin.

En lui montrant le personnage de Naruto dans le premier roman de Jiraya, notre Naruto met en lumière la qualité de persévérance entêtée qu’il possède. Peu importe le monde entier, Naruto ne s’arrêtera jamais de trouver le moyen de répandre la véritable paix sur Terre. Ce rappel de Naruto a pour effet de sauver Nagato Pain qui se rappelle la Foi qu’il avait plus jeune. Sentant alors la paix intérieure que cela lui procure, Pain revient à la pensée mystique, il réalise son erreur, et décide de s’effacer en ressuscitant les morts causés par son attaque sur Konoha.

 

Pain est ainsi le premier personnage à être sauvé mystiquement par Naruto. C’est à ce moment de l’histoire que notre jeune ninja se révèle véritablement comme un personnage messianique. Il sauve déjà à ce stade de l’histoire les personnes de leur propre enfer, aussi bien par une démonstration concrète (Zabuza, Neji, Gaara) que par le moyen de sa propre Foi mystique née du contexte historique dans lequel Naruto s’inscrit (la lignée de transmission de la Foi en la paix et la prophétie).

Pain n’est donc pas convaincu par un « c’est pas gentil d’être méchant » de la part de Naruto. Il est en revanche persuadé par cet ensemble mystique qui tourne autour du jeune ninja.

 


 Image tirée du manga illustrant le concept de "lignée de transmission" : Sarutobi a reçu la Foi du premier Hokage, qu'il a transmis à Jiraya, qui l'a transmis à Minato, qui l'a transmis à Kakashi, qui l'a transmis à Naruto.

 

 

Le ton est donné pour le reste de l’histoire. La Foi prime sur les arguments logiques. À partir de ce moment d’ailleurs, tous les ennemis majeurs auxquels Naruto fait face croient en la pensée rationnelle engendrée par le désespoir. Obito est bien entendu la figure majeure de ce que nous avançons ici. Il est à ce sujet exactement comme Nagato Pain. Tout d’abord empli de Foi et d’espoir, la mort tragique de Rin le plonge dans le désespoir, et il rejoint Madara qui prône une solution concrète rationnelle : imposer la paix par la force en utilisant une illusion globale. Obito est neutralisé de la même manière que Pain. Naruto lui rappelle qui il était avant de sombrer. Ce rappel exerce un électrochoc qui le fait rebasculer dans la pensée mystique. Il retrouve la Foi, et change de camp.

Tout dans Naruto est basé sur la nécessité de la Foi inébranlable malgré les dures réalités de la vie des ninja. Même si son camarade meurt, le ninja doit continuer à avoir la Foi, car le ninja est « celui qui sait endurer et résister ». À ce compte, tous ceux qui croient en la pensée mystique sont des ninjas !

Naruto est donc le Messie qui incarne la Foi transcendantale non seulement dans ses paroles, mais aussi et surtout dans ses actes. Ce sont par ailleurs ces derniers qui permettent aux gens autour de lui de se sauver. Plus d’une fois, Kakashi est pris par le doute et le mépris de lui-même. Et plus d’une fois, c’est la présence de Naruto qui lui permet de tenir bon et de continuer à se battre.

 

J'en viens à présent au second personnage principal de ce manga, véritable pendant de Naruto, Sasuke.

Ce personnage a laissé dubitatif sur le long terme à cause de l’apparente incohérence de ses choix vers la fin de l’histoire.

Mais qui est Sasuke ? Présenté au départ comme le rival de Naruto, Sasuke est un jeune adolescent au comportement diamétralement opposé à celui de Naruto. Là où Naruto est expansif, Sasuke est taciturne. Là où Naruto parle, Sasuke se tait. Là où Naruto est blanc, Sasuke est noir. Obsédé par l'assassinat de toute sa famille par son frère aîné Itachi, Sasuke ne rêve que de vengeance. Il cherche le pouvoir afin de tuer son frère, véritable génie ninja à la puissance démesurée.

Cette quête de pouvoir est ce qui guide véritablement Sasuke jusqu’à ce qu’il parvienne à tuer son frère, ce qui se produit finalement environ aux deux tiers de l’histoire. À partir de cet événement, Sasuke est en recherche. Il n’a plus de but véritable. Ayant toujours suivi la haine, il est particulièrement vulnérable aux tentations de celle-ci dans son esprit. Il n’est donc pas étonnant qu’il suive sans trop réfléchir ce qu’elle lui dicte après avoir entendu la vérité sur son frère, et c’est bien d’ailleurs ce qu’escompte Obito lorsqu’il lui raconte toute l’histoire d’Itachi.

Voilà donc l’origine du choix de Sasuke. Il décide de suivre un temps les ordres de l’Akatsuki dans le but de se venger du village. Cependant, ceci n’est pas une décision mûrement réfléchie. C’est plutôt une décision prise par habitude, comme on l’a dit. Il suffit donc de peu pour que Sasuke revienne sur sa décision. Sa rencontre avec son frère rappelé d’entre les morts est en tout cas suffisant pour le faire réfléchir. Ce que lui dit alors Itachi est l'étincelle qui le pousse à vouloir véritablement connaître les raisons de son frère aîné qui l’ont poussé à préférer le village à sa famille. Il décide alors de poser des questions aux hokage des générations passées, et eux aussi rappelés d’entre les morts, sur la signification à donner au concept de « clan » et de « village ».

Cette décision de poser des questions est capitale dans le parcours de Sasuke. Pour la première fois, il refuse de se laisser influencer par le simple discours d’un autre. Il souhaite poser des questions. Il souhaite comprendre, et donc réfléchir par lui-même. Il temporise avant de prendre sa décision. Au lieu d’être poussé automatiquement par la haine, il souhaite faire usage de raison.

Au final, il décide de protéger le village après avoir écouté ce que lui a raconté Hashirama le premier Hokage. C’est ici que Sasuke abandonne la haine des autres. Il passe sur le massacre de tout son clan pour donner la priorité au village, car il comprend que la volonté des hokage n’a jamais été de brimer qui que ce soit, mais au contraire de favoriser la paix mondiale. Il se joint alors vraiment au but d’instaurer la paix que recherchent activement tant l’Akatsuki de Madara, que Naruto et ses maîtres. Il est de plus conscient que le plan de l’Akatsuki est mauvais.`De fait, il rejoint donc Naruto et tout le village pour combattre Madara, et plus tard Kaguya.

Tout pourrait se terminer là. Sasuke pourrait sagement rentrer au village après la défaite de Kaguya. Seulement, les choses ne sont pas aussi simples, car il a bien annoncé à tous qu’il souhaitait devenir le prochain Hokage.

Cette annonce, survenu il est vrai comme un cheveu sur la soupe, a poussé de nombreux fans à émettre de violentes critiques à l’égard de maître Kishimoto. Concrètement, on lui reprochait alors de s’être souvenu que Sasuke est sensé être le rival de Naruto, et d’avoir utilisé ce fait comme d’un raccourci de scénario pour se débarrasser d’un personnage qui devenait tellement complexe qu’il en devenait mal écrit. Mais il n’en est rien. Et l’annonce de Sasuke revendiquant la place du Hokage est parfaitement censée et raccord avec tout le développement antérieur du personnage.

En effet, il est révélé plus tard que Sasuke n’accorde pas la même signification au rôle du Hokage que Naruto. Là où Naruto y voit quelqu’un de reconnu et aimé de tout le village en plus d’être capable de le protéger au péril de sa vie, Sasuke y voit un homme qui, par esprit de sacrifice, est haï et rejeté de tout le village afin qu’il puisse mieux le protéger. Pour Sasuke, Itachi était le véritable Hokage du village. Et la définition de Sasuke est parfaitement censée par rapport à son vécu et à ses expériences personnelles. Très attaché à son frère aîné, et donc grandement influencé par son exemple, il ne peut pas avoir à ce moment là la même vision de ce qu’est le Hokage que Naruto.

Concrètement, après avoir battu Kaguya, Sasuke est convaincu que pour être Hokage et servir les intérêts de tous, il doit trancher tous les liens d’amitié et d’amour qui l’unissent encore aux autres, afin de devenir véritablement seul, et pouvoir protéger le village. C’est pour cette seule et unique raison qu’il s’oppose une dernière fois à Naruto. Il veut alors le tuer afin de faire disparaître le dernier lien d’amitié qu’il lui reste, car Naruto est le seul à l’avoir toujours considéré comme un ami, et même un frère.

Sasuke est à ce moment là atteint de ce que j'appelle la maladie du pécheur. Conscient de ses fautes passées, il souhaite se racheter en s’imposant une vie dure et solitaire, privé de la reconnaissance des autres. Il a peut-être abandonné la haine des autres, mais il se hait lui-même pour ce qu’il est, et surtout ce qu'il a fait.

Sasuke est encore et toujours dans son enfer personnel où la haine le dévore, quand bien même ses motivations sont plus nobles qu’une simple quête de puissance.

Or, il a en face de lui Naruto, le Messie qui sauve les individus de leur enfer personnel. Et le dernier à être sauvé par le Messie dans Naruto, c’est bien Sasuke.

Au plus fort de sa haine envers lui-même, Sasuke cherche à tuer son frère Naruto. Cependant, il en est incapable, car en vérité, Naruto et Sasuke sont, comme l’a révélé le manga, deux frères d’âme qui s’aiment depuis des millénaires malgré une opposition farouche et continue entre les idéaux de l’amour que défend l'un, et de la force que défend l'autre. Naruto aime Sasuke. Il l’aime, et il est incapable de considérer Sasuke autrement que comme un ami. C’est d’ailleurs ce qu’il n’a jamais cessé de lui dire tout au long de leurs multiples rencontres. De son côté, Sasuke sait qu’il aime Naruto. Il reconnaît lui-même que Naruto est son seul véritable ami. Cependant, il ne parvient pas à se pardonner la haine qu’il porte en lui. Il croit que la haine qu’il a suivi le condamne à une vie de solitude.

Naruto réussit pourtant à le faire sortir de son enfer. Au plus fort de leur dernière bataille, Sasuke réalise que peu importe ce qu’il fera, Naruto le considérera toujours comme un frère, un ami très cher qui aura sa place au sein du village. Il réalise enfin qu’il n’a pas à se mettre à l’écart du monde. Il réalise que même après ce qu’il a pu faire, il a encore la possibilité de vivre parmi les habitants du village, et de vivre une vie heureuse, loin de la solitude.

 

https://www.youtube.com/watch?v=cIw6n_aTRN8&t=102s

 

C’est ainsi que l’âme de Sasuke trouve le repos. C’est ainsi que Naruto sauve son frère Sasuke, en lui faisant percevoir la porte de sortie de sa propre prison. La haine disparaît. Le cycle de guerre entre les deux frères Indra et Asura est brisé.

 

C’est ainsi que je perçois pour ma part le manga Naruto. Il s’agit d’une histoire complexe ayant des significations mystiques profondes. C’est bien pour cette raison d’ailleurs que ce manga est si incroyable. La profondeur du sens que recèle Naruto est telle, qu’il n’est pas étonnant que cette histoire ait fasciné pendant plus d’une génération le public. Je crois en effet que, sans en avoir pleinement conscience, tous, nous ressentons au fond de nous ce que je viens d'essayer d’expliquer dans ce texte. Nous savons intuitivement que ce manga nous fait rêver de paix et de salut.


29/01/2019
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