Plume doigt

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[Analyse] Les Douze Royaumes (autrice : Fuyumi Ono) partie 1 : roi et kirin, gouvernants et gouvernés, quelle relation avoir ?

Je m'attaque enfin à une grande fresque, celle des Douze royaumes. Une série de romans japonais traduits en français et adaptée en animé que j'ai découverte assez récemment (3 ans en arrière), mais qui m'a grandement touché et inspiré. Cette série de fantasy japonaise a été commencée en 1991 par Ono Fuyumi (je rappelle que je respecte l'ordre traditionnel japonais du nom puis du prénom dans ces articles). L'autrice est plutôt connue pour ses romans d'horreur comme Shiki, série non traduite en français mais ayant été adaptée en animé, dans laquelle des vampires envahissent progressivement un petit village reculé de la campagne japonaise. Cependant, ce n'est pas le thème de la série des Douze royaumes. Ou plus précisément, la série quitte le genre de l'horreur dès la fin du tome pilote pour devenir très clairement de la fantasy, mais nous y reviendrons.

Alors de quoi parle Les Douze royaumes ? Et bien de douze royaumes... Bon, en fait c'est un peu plus compliqué que ça. Tout commence lorsqu'une jeune lycéenne nommée Nakajima Yôko rencontre un étranger aux longs cheveux blonds se prénommant Keiki, et qui lui annonce être venu la chercher. Sur ce, il s’agenouille à ses pieds et lui prête serment, serment qu’il la force à accepter. Complètement médusée, Yôko se retrouve alors prise dans une cascade d’événements qui vont la propulser dans un autre monde parallèle à celui du Japon, celui des douze royaumes. Quel est ce monde ? Que fait-elle là-bas ? Qui est Keiki ? Les deux premières parties du tome 1 viennent répondre à ces questions.

Voilà comment je peux résumer très simplement et sans spoiler le début de l’histoire des Douze royaumes. Par la suite, je vais nécessairement en dire plus, c’est pourquoi j’invite ceux que l’histoire intéresse d’arrêter ici la lecture de cet article, et de d’abord lire les livres et/ou de voir la série animée.

Les Douze royaumes est une série regorgeant de thèmes, de détails et de personnages intéressants, si bien que je n’ai pas envie de tout traiter en un seul article. Pour cette raison, j’ai décidé de scinder en plusieurs parties les différents sujets dont j’ai ou aurai envie de parler concernant Les Douze royaumes.

Ainsi, dans cette première partie, je vais commencer par parler de l’univers fictif créé par Ono Fuyumi.

 

La série des Douze royaumes est bâtie sur l’existence d’un univers parallèle au notre. Un univers dont les continents et les îles sont organisés géométriquement en forme de mandala, dans lequel n’existent que douze royaumes entouré d’un océan sans limite. Au centre de ce monde se trouve une terre circulaire nommée « la mer jaune » en raison du fait qu’il s’agit d’un désert, et au centre duquel se dressent cinq pics montagneux. Autour de cette mer jaune s’étendent la mer rouge, bleue, noire et blanche en forme de fleur à quatre pétales. Le tout est enserré par un grand continent en forme de carré sur lequel se trouvent huit des douze royaumes. Ces royaumes sont tous de la même taille et de la même forme et ont une position géographique très précise. Il y a le royaume du nord, Ryû (le saule), le royaume du sud, Sô (la musique, la parole adressée à l’empereur), le royaume de l’ouest, Han (le modèle, l’exemple), le royaume de l’est, Kei (la jubilation, la réjouissance), le royaume du nord-est, En (l’oie sauvage), le royaume du sud-est, Kô (le mérite, le succès), le royaume du sud-ouest Sai (le talent, le don, la capacité), et le royaume du nord-ouest, Kyô (le respect, révérencieux). Ce continent est lui-même encerclé par un océan gigantesque et sans fin nommé « la mer du vide ». Ne s’y trouvent que quatre grandes îles triangulaires formant un plus grand carré entourant celui formé par le continent. Ces quatre îles sont les quatre derniers royaumes. On les nomme les royaumes des confins. On trouve tout d’abord au nord-est le royaume de Tai (être couronné), au sud-est le royaume de Shun (l’ipomée tricolore), au sud-ouest le royaume de Ren (l’ondulation sur l’eau), et au nord-ouest le royaume de Hô (le parfum, le baume).

Cette harmonie géométrique de la géographie du monde des douze royaumes reflète bien comment Ono Fuyumi conçoit son univers fictif. Cet univers est ordonné, structuré selon une loi précise, inviolable. J’y sens pour ma part une certaine mise en opposition de cet univers par rapport au nôtre où le chaos semble régner. En effet, l’autrice prend grand soin de donner une origine à son univers. On y découvre ainsi comment Tentei ?? (l’empereur du Ciel) a formé les douze royaumes et leur a donné à chacun un roi ou une reine chargé d’assurer la sécurité, l’harmonie et la prospérité de son royaume. Le roi ou la reine est désigné par un animal sacré nommé le kirin ??, seul être à pouvoir recevoir la volonté du Ciel. Chaque royaume a ainsi un kirin qui naît sur le mont Hô dans la mer jaune, et qui désigne son roi ou sa reine dès qu’il est en âge de maîtriser ses pouvoirs. Le roi ou la reine choisi par le Kirin devient un dieu immortel, dont la présence sur le trône chasse les monstres et les démons de son territoire. Tant que le kirin est en vie, le roi ou la reine ne pourra mourir de vieillesse. En revanche si le roi ou la reine cesse de gouverner de façon juste son royaume, et enfreint la loi du Ciel, ou s’engage trop loin dans une conduite déséquilibrée (luxure, paresse, etc.), alors le kirin est frappé de la maladie du Shitsudô ?? (perte de la voie). Si son souverain ne se corrige pas (ce qui arrive la plupart du temps), alors le kirin meurt, ce qui entraîne le décès du roi ou de la reine peu de temps après. Ainsi, tout souverain choisi par le Ciel peut perdre sa légitimité s’il s’égare. La perte du roi à la tête du pays entraîne automatiquement l’apparition de démons dans le pays, et ce jusqu’à ce que le prochain kirin choisisse son nouveau maître.

 

Un monde, donc, extrêmement ordonné où les dieux vivent. Une Loi inviolable existe et est connue de tous. Le monde fonctionne selon une mécanique précise. Tout ceci rappelle, pour ce que j’en sais, la mythologie chinoise et le taoïsme. L’autrice ne cache d’ailleurs pas le fait que cet univers a des consonances chinoises. Ainsi, la langue parlée dans les douze royaumes rappelle le chinois, et l’écriture est celle des idéogrammes sino-japonais avec quelques modifications.

Mais au-delà de cette influence très clairement chinoise, je pense que cet ordre social et divin peut parler à tout le monde. Tout simplement parce que, comme je l’ai dit plus haut, l’harmonie des douze royaumes est un reflet inverse de l’apparence de notre monde où tout semble être chaotique. Or, tout le monde a quelque part en soi à des niveaux très divers le désir d’harmonie consacrée par un ordre invisible et immuable. C’est ce qui contribue, je trouve, à faire de la série des Douze royaumes une histoire très reposante et douce où nous est présentée l’esquisse d’un monde idéal. Ou pas, mais nous y reviendrons dans une autre partie.

 

Cet ordre harmonieux et inviolable est particulièrement souligné dans les romans par les deux rôles complémentaires du roi et du kirin. Aussi, c’est sur ces deux fonctions que je vais m’arrêter dans cette première partie.

Dans l’organisation de chacun des royaumes, le roi et son kirin en sont le sommet. Le roi est le maître du kirin, ce qui instaure une hiérarchie claire régissant les liens entre les deux individus. Quand un roi donne un ordre, le kirin est par nature obligé d’obéir. Pour autant, comme on l’a vu plus haut, si le kirin meurt, le roi meurt aussi. Ce fait empêche la relation entre un roi et son kirin d’être simplement celle d’un supérieur envers son vassal. Le roi dépend en effet à un certain niveau de son kirin. C’est de lui qu’il tire sa longévité ainsi que sa légitimité. Car Ono Fuyumi nous explique très clairement ce qu’est un kirin. Il ne s’agit pas simplement d’un animal sacré capable de prendre forme humaine et qui désigne son maître et le sert par la suite. Le kirin est l’incarnation de la volonté du Ciel. En tant que tel, le kirin prêche sans cesse auprès de son roi ou de sa reine la miséricorde et la compassion dans chacun de ses choix, y compris dans le cas d’un criminel. Le kirin devient ainsi malade à la vue du sang, et ne supporte pas la guerre et la violence. Le kirin est ainsi aussi présenté comme une figure de la volonté du peuple de son pays. Car quel peuple désire la guerre s’il n’y est pas poussé ?

Ainsi, si le roi dirige son pays, le kirin incarnant à la fois la volonté du Ciel et du peuple (voix du peuple, voix de Dieu ?) est là pour le conseiller et faire office de contre-poids à la volonté personnelle du souverain. Ce contre-poids est relatif, car il est fréquent les situations dans lesquelles le roi n’écoute pas son kirin, soit par nécessité d’affaire d’État, soit par pur égoïsme. (En effet, dans les cas où le roi doit juger par exemple un traître qui a essayé de tenter un coup-d’état, un bon souverain ne peut pas se permettre d’écouter son kirin et de faire preuve de clémence.)

C’est pourquoi le souverain et son kirin sont vus comme les deux moitiés d’une même pièce. L’un est indispensable à l’autre. Sans roi, le kirin qui incarne le peuple cherchera naturellement un maître auquel se référer, car il manquera de fermeté. Sans kirin, le roi n’a plus de garde-fou et ne peut que basculer dans un règne tyrannique et égoïste.

Le roi et le kirin sont donc une image d’une façon juste de gouverner. Il s’agit de l’image de la relation entre les gouvernants et les gouvernés. L’un n’allant pas sans l’autre. Les Douze royaumes, au-delà de l’univers structurellement organisé nous incite donc à réfléchir sur notre rapport au pouvoir et à l’univers. Cette série peut être vue comme une fable politique. Quand le royaume est bien gouverné, tout est parfait. Dès qu’il ne l’est plus, alors tout devient chaotique.


Et c’est là que la fiction rejoint la réalité. Car certes j’ai dit que notre monde et celui des douze royaumes étaient en opposition sur le point de vue du chaos et de l’harmonie, voire du sens et du non-sens. Mais finalement, notre monde si chaotique ne provient-il pas d’une mauvaise façon de gouverner (et de se gouverner) ; d’une mauvaise relation entre gouvernés et gouvernants ?

Je ne suis pas de ceux pour ma part qui tentent de rejeter la faute du chaos sur les seuls gouvernants. Je ne crois pas par exemple que la situation mondiale au niveau social soit la seule responsabilité des dirigeants. Certes, ils ont une large part de décision dans ce qu’il se passe sur le globe. Mais n’est-ce pas aussi parce que nous, les gouvernés, les laissons faire ?

Si le kirin se tait et cesse de conseiller le souverain, comment le souverain est-il supposé bien se comporter ? Comment peut-il savoir que le chemin qu’il prend est mauvais ? Il ne le peut pas par lui-même, car c’est la responsabilité du kirin que de le prévenir dans ses égarements.

Ainsi de même, comment nos dirigeants sont-ils supposés bien se comporter, si le peuple qu’il dirige est lui aussi un voyou ? On parle souvent de l’État qui doit éduquer son peuple grâce à l’École publique. Mais quel genre de dirigeants peut-on espérer si le peuple n’éduque pas ses dirigeants ?

Tout comme le roi et le kirin sont les deux facettes d’une seule et même pièce, les gouvernants et les gouvernés sont une seule et même entité.

Nous sommes tous responsables de l’état de notre pays. Prendre soin de son pays, ce n’est pas forcément aller voter, avoir des opinions, ou aller dans des manifestations.

 

Prendre soin de son pays, c’est donner la préséance au bien commun à tous les niveaux. Et à commencer par le niveau strictement individuel.

Moi, en tant qu’individu, que puis-je apporter à la communauté ?

Je vais m’arrêter sur cette question pour le moment, et j’y reviendrai dans la prochaine partie de cet article sur Les Douze royaumes qui traitera des personnages, car je crois que de cette manière, je pourrai montrer que cette série répond parfaitement à cette question d’une façon particulière.

 



31/03/2019
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