l'Histoire d'Orcélia 2
https://www.youtube.com/watch?v=3sJbdk6_pf4
J’étais très jeune lorsque tout a commencé. Mais les catastrophes ignorent la jeunesse et l’innocence. Elles sont pareilles à des assassins qui frappent d’un couteau dans le dos leurs victimes. Si l’on n’est pas assez fort pour résister à la blessure, alors on meurt inévitablement.
La mort. Je ne savais pas ce que c’était à l’époque. Oh, je savais bien qu’elle existait, mais je ne l’avais jamais vu vraiment. J’étais une jeune fille choyée dans son château, ignorant pratiquement tout de la vraie vie, de la réalité du royaume.
Mon père et ma mère étaient de bons parents, qui prenaient soin de moi et de mes frères aîné et cadet. Ils étaient les ducs du duché le plus au nord de Corvefel, réputé pour être la cible fréquente d’escarmouches avec le royaume de Sorsombre, voisin hostile.
Nous étions la branche héritière de la noble famille des Marjiriens, au lion rugissant. Nos ennemis nous craignaient, et nos amis nous respectaient, avait coutume de dire mon père. Et moi, Erica Marjiriens, j’étais fière d’être membre d’une si prestigieuse famille. Et combien j’étais soucieuse de faire mes preuves, d’être à la hauteur.
C’étaient des rêves d’adolescente en mal d’être reconnue par ses proches. Il faut dire que mon père Stefron n’avait jamais cru bon m’enseigner les rouages complexes de la politique. Je pense que c’est parce qu’il la détestait, et qu’il ne voulait pas voir ses enfants y être exposés trop jeunes. Je le comprends aujourd’hui, mais il faut bien avouer que ce manque total d’expérience a bien failli causer ma perte.
Mais revenons à ce qui vous intéresse : le jour où tout a basculé.
Val-lès-l’Ombre avait beau être la capitale du duché, il s’agissait d’une ville de taille fort réduite, encastrée dans une vallée resserrée, encerclée de presque partout par de hautes montagnes escarpées. Le seul moyen de quitter facilement la ville était par la vallée qui rejoignait le reste du royaume et ses grandes plaines au sud. Cet axe de communication était coupé durant l’hiver avec les neiges et le froid. Nous avions donc tendance à vivre en autarcie par rapport au reste de Corvefel. Je vous parle de tout ceci, car nos ennemis se sont servis de ce fait tout simple pour attaquer au meilleur moment. Au coeur de l’hiver, alors que je venais de fêter mon quatorzième anniversaire, l’ensemble de ma famille a été massacrée.
Ce jour là, je m’étais levée pour aller regarder le soleil se lever sur la Dent de l’Ours. Le temps était très clément, pas un nuage dans le ciel. Mon père avait prévu d’aller voir l’avancement des travaux de déblaiement des routes de la ville, et d’y participer. Il se faisait un point d’honneur à ce que nos sujets sachent que leur dirigeant prenait part à leurs labeurs. Ma mère étaient occupée par des affaires d’intendance. Mes frères s’entraînaient à l’épée dans la cour intérieure du château. Quant à moi, mes travaux de couture m’attendaient depuis trop longtemps, et j’ai passé toute la journée à repriser des robes d’hiver et d’autres tissus. Rien ne laissait présager que quelque chose de terrible allait se produire.
C’est le soir que les assassins sont venus. Nous étions en train de dîner, et j’étais allée chercher une pelisse supplémentaire dans mes appartements. Lorsque je suis revenue, ma famille entière gisait dans les décombres de la vaisselle brisée, des flaques de vin et de la nourriture répandue par terre. Ils arboraient tous une expression de surprise incrédule sur leurs visages, à l’exception de mon frère aîné qui semblait avoir eu le temps de comprendre ce qui se passait.
Le coup avait été fait par les servantes et les valets. Ils étaient toujours là, leurs poignards poissés de sang. Et ils me regardaient avec des yeux sans véritable expression. Comme si ce qu’ils venaient de faire ne les affectait pas plus que ça. Ou encore comme si rien ne s’était passé. J’ai eu le temps de penser : « tu dois bouger Erica, maintenant ! ». Mais j’étais bien trop sous le choc pour tenter de m’enfuir, ou même hurler. Puis, j’ai senti une main se poser sur ma bouche, et le tranchant froid du métal couper nettement ma gorge à l’horizontal. Mes jambes m’ont lâchée, et je suis tombée à terre. Je me souviens de la sensation surréaliste de sentir mon sang jaillir de l’entaille dans ma gorge. Mon champ de vision était occupé par les jambes et l’une des mains livides de ma mère. Le temps m’a manqué pour penser que j’allais mourir. J’ai perdu conscience, et le monde s’est fondu dans l’ombre.
C’est ainsi que j’ai dit adieu au monde que je connaissais, celui de mon enfance. Mon père, ma mère, mes frères, ils sont tous partis ce jour-là, sans même me dire au revoir. Tout s’est passé si vite ! J’ai longtemps éprouvé une terrible colère contre le caractère absurde de tout cela.
Ce n’est que plus tard, en apprenant les raisons de ce massacre que ce sentiment d’absurdité s’est dissipé. Cependant, cela n’a pas fait disparaître ma colère pour autant. Pourquoi ? Parce que l’absurde a laissé la place à quelque chose d’encore plus enrageant.
La fatalité.
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