Plume doigt

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[Analyse et interprétation] Dune (auteur : Franck Herbert) : Mécanismes sociaux et psychologie humaine

Remarques préalables : cet article contient quelques éléments de spoiler malgré quelques efforts pour ne pas trop en dire. Je recommande donc à ceux qui n'ont pas lu Dune, et qui n'aiment pas savoir à l'avance, de fermer cet onglet de votre navigateur, et d'aller lire la série avant de revenir. Pour ceux qui s'en fichent ou qui l'ont déjà lue, bonne lecture !

 

 

 

 

Dune est une série-réflexion sur les mécanismes sociaux de l'espèce-humaine à travers le temps.

 

Tous ceux qui croient en l'amélioration de la société humaine au fur et à mesure des époques peuvent pleurer. Franck Herbert vient doucher ses espoirs. Environ 10 000 ans après notre ère, l'homme, qui s'est répendu dans la galaxie entière, est toujours le même : empire, seigneurs féodaux régnant sur des planètes entières, intérêts politiques et commerciaux, fanatisme religieux, complots, assassinats, coup-d'état. La technologie seule a évolué. La forme a changé, le fond reste le même.

Dans ces conditions, peut-on dire que la société humaine a changé ? Non, bien sûr que non. C'est là un des messages de base de Franck Herbert. L'homme "ordinaire" dans son comportement basique restera toujours le même. Il générera toujours autant de conflits, de guerres et de destructions. Il sera toujours la proie de ses pulsions inconscientes, de son psychisme tordu et de ses peurs profondes.

 Car c'est sur ce point que l'auteur met l'accent : la psychologie de l'homme.

Qu'y a-t-il dans nos esprits ? Qu'est-ce qui fait que nous nous comportons ainsi ?

Franck Herbert tente d'y répondre en introduisant un facteur nouveau : l'Épice, drogue qui permet aux femmes d'avoir accès à leur mémoire génétique.

 

Maintenant imaginons seulement quelques secondes ce qu'il se passerait si d'un seul coup, une porte s'ouvrait dans nos esprits par laquelle s'engouffreraient les souvenirs de tous nos ancêtres. La capacité de consulter les vies de plusieurs milliards d'individus, de parler avec chacun d'entre eux, de demander conseil à l'un d'entre eux, voire de laisser s'exprimer à travers son propre corps cet ancêtre. Ne serions-nous pas transformés, métamorphosés par cette somme de connaissances colossale ?

 

Voilà ce que sont devenues les femmes de l'ordre des Bene Gesserit. Des esprits dont la personnalité est en contact avec les autres personnalités de leurs ancêtres. Une limite cependant à leur pouvoir : elles ne peuvent avoir accès à leurs ancêtres masculins, et n'ont pas accès au futur.

Un groupe de femmes, donc, qui ont connaissance des erreurs passées de l'humanité. Des femmes qui ont conscience que l'humanité est prise dans un cercle d'erreurs répétées sans fin.

Que font-elles de ce savoir ? Elles le gardent pour elles sous prétexte de mieux servir l'humanité. Elles mettent sur pied un plan génétique de très longue haleine nécessitant le croisement de plusieurs anciennes familles entre elles. Ceci pour arriver à donner naissance à un homme capable de voir autant le passé que le futur : le Kwisatz Haderach ( mots signifiant "le cours chemin"). Un messie, en somme, qui sauvera l'humanité.

Et elles y parviennent. Cependant, au moment où elles auraient pu mettre cet homme sous leur coupe, leur manque de vigilance permet à Paul Atréides, le Kwisatz Haderach, de prendre possession de ses pouvoirs et de les utiliser en toute indépendance d'esprit.

 

Cet homme qui voit le futur aussi bien que le passé, à quoi peut-il bien ressembler ? Comment vit-il ? De quoi est fait le futur ? Les réponses attendent dans les pages du roman.

 

 

 

Quoi qu'il en soit, Franck Herbert est sans équivoque un homme d'une grande profondeur. Il est pour moi quelqu'un qui a pris conscience, de son vivant, de l'éternel recommencement du cycle d'erreurs dans lequel la société humaine vit depuis toujours. Herbert a cherché à trouver la porte de sortie de ce cercle vicieux. Et il en parle à travers sa série Dune en se focalisant sur le personnage messianique du Kwisatz Haderach et sur les réactions de l'humanité face à ses actes.

 

Car au fur et à mesure des événements racontés dans les romans, il devient de plus en plus clair, que l'auteur prône une responsabilisation de l'humanité par rapport à ses propres souffrances psychologiques. En effet, celle-ci se retrouve, du fait du Kwisatz Haderach, confrontée à des épreuves terribles qui la pousse à se prendre en main.

C'est déjà ce que fait en partie dans le récit les femmes du Bene Gesserit. Après un long apprentissage visant à leur faire maîtriser leur esprit et leur corps, l'Épice leur est administré, et elles obtiennent leurs "mémoires secondes". Cet apprentissage leur permet ainsi de "se prendre en main", de cesser de vivre sous la coupe de leur inconscient, de prendre conscience de ce qui est caché en elles.

Pour Herbert, il semble que s'observer soi-même, prendre conscience de ses schémas comportementaux, d'amener à la conscience ce qui est inconscient est capital pour l'avenir de l'humanité.

 

Cependant, le point qui retient le plus mon attention est celui du traitement du Kwisatz Haderach. Cette figure est clairement identifiable comme celle du messie qui vient sauver l'humanité. L'atmopshère religieuse qui l'entoure dans le récit ne laisse d'ailleurs aucune place pour une autre interprétation. Là où les choses deviennent intéressantes, c'est comment l'auteur traite cette figure messianique du Kwisatz Haderach. Et c'est là-dessus que je vais me concentrer, car c'est pour moi ce qui est au coeur de la série Dune.

 

Le but du messie dans Dune est de sauver l'espèce humaine en lui faisant prendre "le Sentier d'Or", suite d'événements se déroulant sur plusieurs millénaires, seul moyen de garantir un futur pérenne à l'humanité en l'empêchant de se détruire elle-même.

Jusque là, rien de bien nouveau. Mais si vous croyez que le sentier d'or est une route tranquille, vous faites erreur. L'humanité cherche désespérément à sortir du Sentier d'Or, car elle ne supporte pas ce qui s'y trouve. L'humanité tente de se rebéler contre son Kwisatz Haderach de messie qui lui impose des épreuves très désagréables.

Le messie n'est pas tendre avec les hommes. Lui-même, cela se voit, aimerait bien donner sa place à un autre. Il ne le peut pas, car il est le seul à avoir la bonne combinaison généique pour être le Kwisatz Haderach. Alors il fait ce qui doit être fait. Car s'il ne le fait pas, alors qui le fera ?

Vous l'aurez compris, la figure du messie prend des aspects sombres. Si son but est celui de tout bon sauveur du genre humain, les moyens qu'il doit utiliser fait de lui une figure incomprise de haine et de réprobation.

 

Ainsi, la série est pour moi une image illustrant le concept de "fin du karma" de l'humanité. Le Kwisatz Haderach est un nouveau messie, qui agit pour permettre à l'ensemble des êtres humains d'aller au-delà de ses erreurs passés, de sortir de la haine, des guerres, des batailles ; de guérir des pulsions refoulées, de vaincre l'inconscient (individuel comme collectif) ; de sortir des schémas psychologiques, mentaux et instinctifs, nous poussant à adhérer à un ordre social pyramidal (politique comme religieux) ; de cesser de dépendre d'un messie pour trouver la paix. Le tout en étant brutal, dominateur, et sans empathie pour les plaintes et les protestations.

 

"Ah oui ! Si les schémas m'ont appris quelque chose, c'est que les schémas se répètent. L'oppression que j'exerce, à tout prendre, n'est pas pire que n'importe quelle autre, mais au moins, ma leçon à moi est nouvelle."

L'Empereur-dieu de Dune, Franck Herbert, trad. Guy Abadia, éd. Robert Laffont, coll. "Press Pocket", 1982, p. 237

 

Le messie dans la vision de Herbert est l'épreuve finale de l'humanité. Une épreuve d'une amertume et d'une violence psychologique telle que plus personne n'osera recommencer les anciens schémas de fonctionnement social. Le messie est un traumatisme violent qui guérit l'humanité par la force.

Le monde est sauvé malgré tous ses efforts pour ne pas l'être.

 

"Quand j'ai entrepris de guider l'humanité sur mon Sentier d'Or, je lui ai promis une leçon dont ses morts se souviendraient. J'ai connaissance d'un schéma profond dont les humains nient l'existence dans leurs paroles tout en la confirmant dans leurs actes. Ils disent rechercher la sécurité et le calme, cet état de choses qu'ils appellent la paix. Mais en même temps qu'ils parlent, ils disséminent les graines du désordre et de la violence. Et s'il leur arrive d'atteindre leur fameuse sécurité tranquille, ils s'y contorsionnent désespérément, prisonniers d'un incommensurable ennui. Regardez-les donc ! Voyez à quoi ils s'occupent pendant que j'enregistre ces paroles. Ha ! Je leur ai donné des millénaires d'une tranquillité forcée qui persiste malgré tous les efforts qu'ils font pour retomber dans le chaos. Croyez-moi, le souvenir de la Paix de (censuré) les marquera à jamais. Après cette leçon, ils ne rechercheront plus leur sécurité tranquille qu'avec d'infinies précautions et une préparation soigneuse."

Idem, p. 266

 

Tout est dit...

 

 

 

 

 

 

 

 

 



03/02/2019
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