Plume doigt

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[Réflexion] Confession d'un masque (Auteur : Mishima Yukio) : les mécanismes et l'enfer du masque de déni

Aujourd'hui, je m'attaque à un nouvel ouvrage de littérature "classique", cette fois japonaise. Il s'agit d'un livre publié en 1949 par un écrivain très connu, Mishima Yukio. Ce livre, c'est Confession d'un masque. Il s'agit de l'un de ses tout premiers romans, et est chargé d'une forte dimension autobiographique.

Si je devais résumer simplement les thèmes principaux qui jalonnent ce roman, je dirais : homosexualité mal vécue et Seconde Guerre mondiale. Mais commençons plutôt par voir de quoi cet ouvrage parle.

 

 

Dans les années 1920 naît dans une famille japonaise aisée un certain Kochan. Dès le début, il est séparé de ses parents par sa grand-mère qui l'élève d'une main de fer. De santé très fragile, Kochan ne connaît pas une enfance épanouie à jouer avec d'autres enfants. À peine est-il autorisé à jouer avec ses cousines. Surprotégé, il commence dès l'enfance à adopter deux manières de se comporter différentes entre les moments où il est dans le cercle intime de sa famille et les moments où il est en société. Puis vient l'école primaire et le collège, et la fascination qu'il avait depuis tout petit pour les hommes se transforme en désir sexuel. En grandissant, Kochan va inventer progressivement toute une machinerie mentale afin de passer pour "normal", y compris à ses propres yeux. Il se construit un masque de normalité et fait semblant d'ignorer ses pulsions et désirs homosexuels. Bien entendu, le décalage entre ce qu'il croit être et ce qu'il est devient chaque jour plus grand, et il vit dans la peur de voir son masque se briser. Jusqu'à quand pourra-t-il continuer à jouer la comédie ? La fin de la guerre en 1945 résonne comme un tournant pour lui...

 

Ce livre étant à consonnance autobiographique, il est perçu par beaucoup comme la sortie officielle du placard de Mishima Yukio. Coming out qui l'a immédiatement rendu célèbre, tellement le roman a fait scandale à l'époque. Pourtant, ce n'est pas tant le caractère homosexuel de l'oeuvre qui m'intéresse dans ce livre, mais plus les mécanismes mentaux minutieusement décrits par le narrateur afin de masquer ce qui lui fait honte.

Confession d'un masque est la démonstration éclatante que l'esprit humain est capable de faire de grandes choses afin de ne pas voir la vérité en face. Cela montre aussi à quel point l'esprit occupé à se mentir à lui-même est égocentrique.

Car c'est ce qui me frappe le plus quand je lis ce roman : il n'y a de place pour personne dans cette histoire, mis à part Kochan. Bien sûr, il existe d'autres personnages dans le récit, mais tous ne servent qu'à révéler la vérité dissimulée en le personnage principal ; le narrateur les relit systématiquement au déni de sa sexualité. Tout dans cette histoire est ramené à Kochan et son "problème", rien d'autre. Le narrateur décrit avec grande minutie les émotions et pensées de Kochan. Quant aux émotions et états des autres, ils ne sont que le reflet de ce que le personnage projette sur eux. Il ne parvient jamais à se mettre à la place des autres, car il admet croire que "tout le monde est semblable à lui-même". Ainsi, ce qu'il imagine être la raison des comportements des autres est en réalité la raison que lui-même aurait de se comporter ainsi.

 

"Mon sentiment de supériorité devint en partie de la vanité, l'ivresse de me croire juché un échelon au-dessus du reste de l'humanité. Puis quand cet ennivrement se dissipa, plus vite que le reste, je commis l'erreur irréfléchie de juger toute chose du point de vue de ma conscience dégrisée, sans prendre en considération le fait qu'une partie de moi-même était encore ivre. Par conséquent cette pensée enivrante : "Je suis en tête des autres" se transforma en excessive modestie : "Mais non, moi aussi je suis un être humain comme tout le monde." Par suite de cette erreur de calcul, cette considération à son tour s'amplifia : "Et je suis aussi un être humain comme eux, à tous points de vue." La partie de moi-même qui n'était pas encore dégrisée rendit possible une telle extension et lui prêta appui. pour finir, j'en arrivai à cette conclusion vaniteuse : "Tout le monde est comme moi." La façon de penser que j'ai appelée un acheminement vers l'aberration entra puissamment en jeu pour parvenir à cette conclusion..." (Mishima Yukio, Confession d'un masque,  traduit de l'anglais par Renée Villotaux, Gallimard, coll. "Folio", 1971, p. 105).

 

"Je ne suis pas comme tout le monde sur le plan sexuel". Voila ce qui terrifie Kochan tout au long de l'histoire. C'est cette peur de devoir assumer son homosexualité qui fait qu'il cherche désespérément la mort sans à avoir à se suicider. La guerre qui fait rage autour de lui est ainsi un très bon prétexte pour ne pas avoir à regarder en face qui il est en vérité.

 

L'autre chose qui me marque est la très claire division de la personnalité de Kochan induite par le déni de sa sexualité. Il y a le vrai lui, qui souhaite vivre et accomplir ses désirs profonds. Et il y a le masque qu'il joue presque continuellement au point de croire que le masque est devenu lui-même. Le masque désire mourir à la guerre dans un combat glorieux. Le masque fait tout ce qu'il peut pour ressentir de l'attraction envers les femmes. Mais le masque joue la comédie. Et le masque tombe lorsque Kochan se sent inexpliquablement soulagé d'avoir pu être réformé et de ne pas être parti à la guerre. Le masque tombe lorsque la guerre prend fin et que Kochan est forcé de se rendre compte qu'il va devoir vivre et être confronté à la perspective du mariage ; qu'il va devoir vivre et résoudre le conflit intérieur qui le déchirre.

 

Et je crois que c'est ce qui arrive à toute personne qui vit dans le déni de soi, que ce soit au niveau sexuel ou à d'autres niveaux psychologiques. On emploit tellement d'énergie à maintenir le masque de ce qu'on croit être le bien en place sur son visage qu'il n'y a plus de place pour rien d'autre. La peur nous cerne, la peur de devoir faire face à la honte de qui on est. Car c'est bien là la racine du mal qui pousse à porter un masque : la fierté. On a honte de sa nature profonde. On se dit que si elle devient visible, alors on se moquera de nous. La peur d'être soi vient du fait que l'on est trop orgueilleux pour montrer ses faiblesses. Et montrer que l'on a peur, c'est le comble de la honte.

 



26/05/2019
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